Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

FRAGMENTS

D'UNE PARAPHRASE PROVENÇALE

DU PSEUDO-CATON

M. Omont, conservateur adjoint à la Bibliothèque nationale, a bien voulu me signaler récemment les deux feuillets de parchemin dont j'ai tiré le texte publié ci-après. Ces feuillets étaient collés sur les plats intérieurs du ms. lat. 608o qui renferme une copie, faite au xve siècle, de l'epitome de Tite-Live attribué à Florus. Je n'eus pas de peine à y reconnaître une traduction, ou plutôt une paraphrase en vers des célèbres distiques du Pseudo-Caton, connus aussi sous les noms de Dionysius Cato et de Cato philosophus.

Cette petite découverte comble une lacune dans l'histoire de la littérature provençale. Il était en effet singulier que les distiques de Caton, si répandus au moyen âge, mis partout entre les mains des enfants comme livre d'éducation, n'eussent pas été traduits en provençal, quand on en connaît jusqu'à sept traductions anciennes en français, et un nombre presque égal en italien 2.

Les deux feuillets ont été fortement rognés. Le premier a perdu toute sa marge inférieure, sans toutefois que le texte ait été atteint de ce côté. Le recto de ce feuillet est reproduit cijoint à la grandeur de l'original 3. On voit que le manuscrit

1. Voy. Romania, VI, 20.

2. Voy. A. Tobler, Die altvenezianische Übersetzung des Sprüche des Dionysius Cato (Berlin, 1883), p. 3, note.) — Le Pseudo-Caton a été traduit partiellement en vers catalans, dès le xe siècle, par Guylem de Cervera (Romania, XV, 97 et suiv.). Il en existe une traduction catalane en prose du xive siècle ou du commencement du xve.

3. En réalité, l'original a deux ou trois millimètres de plus en hauteur et en largeur. Le cliché a été fait à la dimension du feuillet, mais la pellicule de collodion se réduit toujours un peu et il n'est guère possible de calculer exactement cette réduction.

était réglé à 30 lignes par page. Le second feuillet a été rogné par le haut. Il n'a plus que 23 lignes par page, toute la marge supérieure et les sept premières lignes ayant été coupées. En revanche, il a une marge inférieure très grande, ce qu'il n'est pas inutile de constater en vue de l'examen paléographique de ces débris. De plus, les deux feuillets ont été rognés sur le côté : les premières lettres des lignes manquent à chaque recto et les dernières à chaque verso. Enfin, le verso du premier feuillet, décollé avec peu de précaution, est devenu en grande partie illisible: çà et là des mots entiers sont demeurés intacts, mais le plus souvent il ne reste plus que la trace indistincte de l'écri

ture.

L'aspect de l'écriture donne à première vue l'idée d'une grande ancienneté. Lorsque M. Omont me montra ces feuillets, je crus avoir sous les yeux un manuscrit du xre siècle ou au moins des premières années du XIIe siècle. La plupart des lettres, et notamment un grand nombre de capitales, ont en effet la forme habituelle dans les mss. de cette époque. Mais un examen attentif me fit revenir sur cette première impression. Et d'abord le ms. est réglé au crayon ou avec une encre très pâle, et non à la pointe sèche. L'écriture même est d'une encre pâle, ce qui ne peut se voir sur le fac-similé. Les mots sont assez bien séparés, au lieu que, dans les plus anciens mss., en langue vulgaire aussi bien qu'en latin je citerai Boëce et les poèmes du ms. de Clermont-Ferrant les mots sont souvent réunis. Puis le copiste emploie très fréquemment l's courte, proprement l's onciale (unes à forme archaïque il est vrai), à la fin des mots, ce qui, avant la seconde moitié du XIIe siècle, est bien rare'. Enfin plusieurs lettres ont une forme insolite, le par exemple, l'e aussi, où le trait fin qui forme la boucle ne se prolonge pas jusqu'à la lettre suivante, comme cela a lieu au

[ocr errors]

1. J'ai fait sur l'emploi de l's onciale à la fin des mots, dans les mss. du XIe siècle et du XIIe, une petite recherche dont voici les résultats. Je n'en ai pas trouvé d'exemples dans les mss. en langue vulgaire antérieurs à la seconde moitié du XIIe siècle. Il y en a un dans le fac-similé d'un des fragments de miracles de la Vierge conservés à la bibliothèque d'Orléans (col. 2 avant-dernier vers; voir mon mémoire sur ces fragments), mais le ms. est, ce semble, postérieur au milieu du XIIe siècle. J'ai passé en revue, pour le même objet, un grand nombre de chartes vulgaires écrites en diverses

XIe siècle et au XII. Certains a sont suspects, par exemple le premier a d'abandonatz, à la dixième ligne du fac-similé. Ces petits faits, et d'autres que je pourrais signaler, me portent à croire que le copiste vivait bien après le xre siècle, et que, pour un motif quelconque, il a jugé à propos d'employer une écriture archaïque dont le modèle lui était offert par d'anciens manuscrits latins. Une dernière circonstance vient à l'appui de cette conclusion. Voyez comment est figuré, aux lignes 15, 18 et dernière du fac-similé, le mot que le texte porte un q cédillé et surmonté d'un titulus. C'est l'abréviation latine de quæ. Il y a là un emprunt évident à un modèle latin. J'engage les paléographes qui voudront pousser plus loin cette vérification à prendre comme termes de comparaison les fac-similés de Boece (Monaci, Facsimili di antichi manoscritti, nos 33-39), du fragment d'Alexandre conservé à Florence (ibid., nos 12 et 13), des poèmes de Clermont (Album des plus anciens monuments de la langue française, nos 3 à 9). L'impression générale qui résultera de cet examen comparatif sera, si je ne m'abuse, défavorable à nos fragments, dont l'écriture n'est pas franche et

régions du Midi I's onciale n'y paraît que dans la seconde moitié du XIIe siècle (par ex., dans une charte de Rodez, 1161, héliogravure 245 de l'École des Chartes). Les manuscrits latins, entre lesquels j'ai examiné de préférence ceux d'origine méridionale, m'ont donné quelques exemples assez anciens. L's onciale apparaît de temps en temps à la fin des mots dans le ms. de la Bodleienne add. D 104, du milieu environ du XIe siècle, que je crois avoir été écrit à Albi (héliogr. de l'École des Chartes, no 362); dans la première partie du cartulaire de Vézelay, fin du XIe siècle (Laurentienne, XIV, 21; héliogr. de l'Ec. des Ch., no 255); dans la règle de saint Benoît écrite à Saint-Gilles en 1129 (Palæographical Society, no 62; héliogr. de l'Éc. des Ch., no 350); dans le ms. B. N. lat. 3790, daté de 1138 et probablement exécuté dans le Midi (Delisle, Cabinet des mss., planche xxXVI, 6); dans le ms. B. N. lat. 14314, exécuté à Paris entre 1138 et 1143 (ibid., planche xxxvI, 3 à 5). A partir de cette époque, les exemples deviennent de moins en moins rares, soit dans les chartes soit dans les mss.; voir par exemple Pal. Soc., 2e série, no 60, charte normande de 1165. Il faut citer à part le ms. Harleien 7183 (Musée britannique), dont une page a été reproduite par la Paleographical Society (2a série, no 55) et que j'ai étudié attentivement à Londres. C'est un ms. d'une écriture fort rare, qui paraît avoir été exécuté en Italie au commencement du XIIe siècle. L's onciale y abonde à la fin des mots. Toutefois, l'écriture n'a aucun rapport avec celle de nos fragments.

inspire une défiance instinctive. Si l'on pouvait prouver que l'écriture est véritablement authentique, qu'elle n'est pas contrefaite, ce nouveau texte acquerrait une valeur considérable, mais je doute qu'on y parvienne.

Si l'écriture est contrefaite, il est bien évident qu'elle ne peut nous fournir aucun indice utile pour déterminer l'époque où le ms. a été exécuté. Un copiste habile, comme était certainement celui de nos fragments, a pu avoir la fantaisie d'imiter une écriture ancienne aussi bien au XIIIe siècle qu'au xive ou au xv. Je ferai toutefois remarquer que c'est en Italie, principalement au XIVe siècle et au xve qu'on a eu l'idée de revenir, dans les manuscrits exécutés avec soin, à la belle et claire minuscule française des x et XIe siècles. Les bibliothèques italiennes, notamment la Laurentienne, et plusieurs bibliothèques françaises renferment des copies (surtout de classiques latins) du xve siècle qui pourraient donner à des paléographes novices l'illusion de manuscrits beaucoup plus anciens 2. Je n'oserais affirmer toutefois que nos fragments aient été écrits en Italie. Je n'y ai remarqué aucun italianisme. Ce n'est pas une preuve, car le copiste peut avoir reproduit avec une parfaite exactitude son original, mais enfin l'argument positif nous fait défaut. Tout au plus pourrait-on signaler en faveur de l'origine. italienne deux indices assez faibles: la grandeur des marges, qu'on peut constater à l'aide du second feuillet, et la note marginale, reproduite sur le fac-similé, qui semble bien être. d'une main italienne de la fin du xve siècle.

Quoi qu'il en soit de mes conjectures, il est prudent de faire abstraction de l'apparence du manuscrit et de s'en tenir aux caractères intrinsèques pour l'appréciation de cette version très libre du Pseudo-Caton.

Elle est en vers de six syllabes à rimes accouplées. Cette forme est fréquente dans la poésie provençale, depuis le xiie siècle, et a été souvent employée dans les ensenhamentz. Les distiques moraux de Caton sont bien une sorte d' « enseignement ». Je

1. Je citerai par exemple le ms. de Quintilien de la bibliothèque de Car

cassonne.

2. C'est de même qu'au temps de Charlemagne on a employé, pour quelques manuscrits de luxe, la belle onciale du vie siècle.

I.

remarque que le sens s'arrête toujours à la fin d'un couplet " C'est un signe, non pas certain, mais probables, d'ancienneté 2. La versification est correcte. Il y a seulement à signaler quelques assonances dizera-fas, I, 21-2, carestia-sias, I, 23-4.

La langue est correcte au point de vue grammatical: l'auteur sait décliner et conjuguer. Toutefois quelques détails font douter qu'il ait été provençal de naissance. Il fait rimer deu et leu, I, 35-6, l'e du premier étant estreit tandis que celui du second est larc, et muller avec aver, II, 49-50, une ouvert avec un e fermé. De la part d'un troubadour catalan ou italien, ces fautes ne surprendraient pas. Dizer (lat. dicere) II, 28, est insolite +. Cette forme, bien qu'elle ne soit pas en rime et que par conséquent on puisse la remplacer par dire, appartient sans doute à l'auteur, car en un autre passage (I, 21) le futur dizera se présente en rime. Une forme sur laquelle il est à propos d'attirer l'attention, c'est ist I, 13, II, 15, indic. pr. sing. 2o p. d'esser. Je ne me souviens pas de l'avoir rencontrée ailleurs et je ne suis pas, par conséquent, en état de la localiser. Les seules formes que je connaisse, pour cette seconde personne, sont est, iest, eist, es, eis.

Rien, ni dans la grammaire, ni dans le vocabulaire, ni dans le style, n'indique une époque bien ancienne rien non plus n'autorise à faire descendre le poème plus bas que le milieu du XIIIe siècle. Je l'attribuerais volontiers soit au commencement de ce siècle, soit même à la fin du siècle précédent. Quant au̟ lieu d'origine, je serais bien en peine de le déterminer. J'ai déjà dit que l'auteur n'était probablement pas provençal. Sa connaissance de l'idiome était plutôt acquise et littéraire que naturelle et pratique.

1. La ponctuation marque assez bien cette particularité il y a toujours un point à la fin du couplet et presque toujours un point et virgule renversé (semicolon) au milieu.

2. Voy. Romania, XXIII, 26-7.

3. L'emploi de cumpain, I, 47, au cas régime, n'est pas correct, mais il y en a maint exemple.

4. Cette forme se trouve, avec d'autres analogues (fazer, cometer), dans une pièce de Bonifaci Calvo, troubadour génois (Mahn, Ged., no 619). Mais le couplet où se trouve dizer paraît avoir été écrit en aragonais; voir Mario Pelaez, Di un Sirventese-discordo di Bonifazio-Calvo. Genova, 1891 (extrait du Giornale Ligustico, année XVIII).

« VorigeDoorgaan »