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prise de Jérusalem, par Godefroy de Bouillon.

Il paraît qu'alors les sociétés qui faisaient ccs représentations, n'étaient point autorisées par les magistrats; car on trouve que quelques hourgeois de Paris s'étant assemblés plusieurs fois à Saint-Maur, au-dessus de Vincennes, pour y représenter la passion de Notre-Seigneur, le prévôt de Paris rendit une ordonnance, le 3 juin 1398, par laquelle il leur fit défenses de continuer leurs représentations; mais ils se pourvurent à la cour; et, pour se rendre favorables, ils érigèrent leur société sous le titre de confrérie de la passion de Notre-Seigneur.

Charles VI assista à plusieurs de leurs re présentations; et, pour leur marquer son contentement (disent les historiens), illeur accorda, le 4 décembre 1402 des lettres patentes, par lesquelles il leur permit de s'établir dans la ville de Paris, d'y continuer publiquement les représentations de leurs comédies pieuses, et d'aller et venir dans la ville avec l'habillement conforme au sujet et aux mystères qu'ils devaient représenter.

Les confrères, en conséquence de ces let tres-patentes, affermèrent un hôpital de pelerins; et ils fondèrent, dans la chapelle de la Trinité, le service de la confrérie. La maison qu'ils destinèrent pour leurs exercices, avait été bâtie hors de la porte de Paris, du côté de Saint-Denis, par deux gentilshommes allemands, pour recevoir les pélerins et les pauvres voyageurs. Les confrères construisirent, dans une grande salle de cette maison, un théâtre, et ils y jouèrent leurs pièces. On appela d'abord ces pièces moralités ; on leur donna ensuite le nom de mystères. On voit en effet plusieurs de leurs pièces qui portaient les titres suivans: le mystère de la passion; le mystère de l'apocalypse: le mystère des actes des apôtres, etc.

Il se forma, dans la suite, différentes confréries dans plusieurs villes du royaume. Il y en avait une en 1486 à Lyon, puisqu'à cette époque, le chapitre de l'église de cette ville accorda une somme de 60 livres aux confrères qui avaient joué le mystère de la passion de JésusChrist. Ce fait est consigné dans les actes capitulaires de ce chapitre. Un historien de la ville de Lyon rapporte encore qu'en 1540, il y avait un théâtre public sur lequel « on »jouait les dimanches et jours de fêtes après le >> dîner ; et on représentait la plupart des his>>toires du vieux et du nouveau Testamens, » avec la farce au bout pour récréer les assistans ». Ce théâtre (suivant cet auteur), s'ap pelait le Paradis.

L'usage' s'introduisit alors de joindre aux

moralités et aux pièces pieuses, des farces et des folies. Froissard rapporte que les spectateurs, loin de faire un crime aux confrères de ce mélange bizarre de morale et de bouffonnerie, se rendirent au contraire avec plus d'empressement à ces représentations. Le chapitre de Notre-Dame, pour y assister, ordonna qu'on dirait les vêpres à trois heures, immédiatement après les nones.

François I.er protégeait les confrères, et il honorait souvent leurs représentations de sa présence. Il leur avait même accordé des lettres - patentes en 1518; mais le parlement ayant reconnu que ce mélange de religion et de bouffonnerie était contraire aux règles de l'homêteté et de la décence, s'opposa, en 1541, à ce que l'on continuât ces sortes de représentations.

Ce genre de spectacle a existé en France pendant plus d'un siècle. Les gens instruits ouvrirent enfin les yeux sur le ridicule qui le caractérisait; et en 1545, la maison de la Trinité qui servait de théâtre aux confrères, fut de nouveau convertie, par un arrêt du parlement, du 30 juillet 1547, en un hôpital destiné, suivant la fondation, au logement des pelerins et des pauvres voyageurs.

Les confrères se voyant forcés de quitter leur théâtre, choisirent un autre emplacement. Quoique le parlement se fût opposé à la continuation de leurs représentations, ils parvinrent, à force de sollicitations et avec le crédit qu'ils avaient, à obtenir la permission d'acheter l'ancien hotel des ducs de Bourgogne, et d'y élever un théâtre.

Le parlement confirma cette permission par un arrêt du 12 novembre 1548 : « mais à » condition (porte cet arrêt) que les confrères » ne pourront jouer que des sujets profanes, »licites et honnêtes, et avec défense expresse » de représenter les mystères de la passion, » ni aucun autre mystère de la religion ».

Par le même arrêt, le parlement confirma les confrères dans tous leurs priviléges, et fit défenses à toutes autres personnes qu'aux confrères de la passion, de jouer ni de représenter aucune pièce, tant dans la ville que dans la banlieue de Paris, sinon sous le nom et au profit de la confrérie.

Henri II, par des lettres-patentes du mois de mars 1559, confirma tous les priviléges que ses prédécesseurs avaient accordés aux confrères.

Ces derniers, ayant un privilége exclusif et étant possesseurs de richesses considérables, résolurent de ne plus monter eux-mêmes sur le théâtre. Ils trouvérent d'ailleurs que les pièces profanes, qu'ils avaient droit de jouer,

ne convenaient point aux titres religieux qui caractérisaient leur société. Une troupe de Comédiens se forma pour la première fois, et prit à loyer des confrères, l'hotel de Bourgogne et leur privilége. La société de la passion se réserva seulement deux loges pour ses membres et pour ses amis : c'étaient les plus proches du théâtre. Elles étaient distinguées par des barreaux, et on leur donnait le nom de loges des maîtres.

Henri II assista à plusieurs représentations de cette nouvelle troupe de Comédiens, et ce monarque lui accorda une protection particuliére.

Sous le règne de Henri III, le royaume fut rempli de farceurs. Ce prince fit venir d'Italie des Comédiens qui furent nommés li gelosi. Ces Comédiens, suivant le Journal de l'Etoile, commencèrent leurs représentations dans l'hôtel de Bourbon, le dimanche 29 mai 1577; ils prenaient quatre sous par personne. Ce nouveau spectacle attira la curiosité de la capitale, et il était rempli d'une foule de personnes de tout rang. Le parlement ayant été instruit que ces Comédiens ne respectaient pas la décence, rendit un arrêt, aux mercuriales du 26 juin 1577, par lequel il leur défendit « de plus jouer leurs Comédies, parce» quelles n'enseignaient que paillardises

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On trouve encore, dans le Journal de l'Etoile, que, « le samedi 27 juillet suivant, li »gelosi, après avoir présenté à la cour les let» tres-patentes par eux obtenues du roi, afin » qu'il leur fût permis de jouer leurs comédies » nonobstant les défenses de la cour, furent >> renvoyés par fin de non-recevoir, et défenses » leur furent faites de plus obtenir et présenter » à la cour de semblables lettres, sous peine de » 10,000 livres parisis d'amende, applicable à » la boîte des pauvres ».

Les Comédiens eurent recours au roi, et lui porterent leurs plaintes contre l'arrêt du parlement. Henri III leur accorda des lettres expresses de jussion, en vertu desquelles ils recommencèrent leurs représentations au mois de septembre suivant; et leur théâtre continua d'être ouvert dans l'hôtel de Bourgogne.

Les mêmes motifs qui avaient déterminé le parlement à refuser d'enregistrer les lettrespatentes que le roi avait accordées aux li gelosi, le portèrent egalement à faire le même refus aux troupes de Comédiens qui étaient repandues dans les provinces. Il permit seulement, par arrêt rendu en 1596, à ces Comédiens de jouer à la foire Saint-Germain, « à charge par eux de payer, par chaque an

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» née qu'ils joueraient, deux écus aux admi"nistrateurs de la confrérie de la passion ».

On voit, par cet arrêt, que le privilége des confrères subsistait encore; il ne fut en effet anéanti qu'en 1676, par la réunion qui fut faite des revenus de la confrérie à l'hôpital général.

Les accroissemens de Paris avaient déterminé les Comédiens à jouer sur deux théâtres, dont l'un était à l'hôtel de Bourgogne, et l'autre à l'hôtel d'Argent, au Marais. On ne jouait sur ces théatres que des pièces informes et des farces grossières, lorsque Corneille donna sa Mélite et le Menteur. Quoique ces

pièces ne soient pas sans défauts, elles dévoilèrent les secrets d'un art qui était alors inconnu en France. Molière parut ensuite et donna à notre théâtre une grande supériorité sur celui des autres nations.

En 1680, Louis XIV réunit en une seule troupe les deux qui existaient alors. lladressa, pour cet effet, le 22 octobre de cette année, une lettre de cachet au lieutenant general de police. «Sa majesté ( y est-il dit) ayant estimé à de réunir les deux troupes de propos Comédiens établis à l'hôtel de Bourgogne et dans la rue Guénégaud, à Paris, pour n'en faire qu'une seule, afin de rendre les représentations des comédies plus parfaites, par le moyen des acteurs et des actrices auxquels elle a donné place dans ladite troupe, sa majesté a ordonné et ordonne qu'à l'avenir lesdites troupes de Comédiens français seront réunies pour ne faire qu'une seule et même troupe, et sera composée des acteurs et actrices et dont la liste sera arrêtée par sa majesté. Pour leur donner moyen de se perfectionner de plus en plus, sa majesté veut que ladite seule troupe puisse représenter des comédies dans Paris; faisant défenses à tous autres Comédiens français de s'établir dans la ville et faubourgs de Paris, sans ordre exprès de sa majesté. Enjoint, sa majesté, au sieur de la Reynie, lieutenant général de police, de tenir la main à l'exécution de la présente ordonnance ».

En vertu de cet ordre du roi, les Comédiens furent autorisés à former une société et à passer entr'eux des actes d'union.

Le 23 avril 1685, le duc de Saint-Aignan, l'un des quatre premiers gentilshommes de la chambre du roi, donna aux Comédiens français un réglement de discipline intérieure, conformément aux ordres qu'il en avait reçus de la Dauphine. Ce réglement fut déposé chez un notaire; et il fut passé un acte, le 4 mars 1686, par lequel les Comediens s'obligerent de s'y conformer.

En 1699, par acte passé devant notaires le 27 avril, les Comédiens ratifièrent tous les anciens traités qu'ils avaient faits entre eux; et ils s'obligèrent de les exécuter.

A cette convention en succédèrent d'autres des 17 mai 1728,5 septembre 1735 et 9 juin 1758. Celles-ci furent suivies de lettres-patentes du 22 août 1761, qui ont été enregistrées au parlement de Paris, le 7 septembre de la même année. Depuis l'enregistrement de ces lettres-patentes, les Comédiens français forment une société légalement établie dans la capitale. Auparavant, ils n'existaient qu'en vertu d'ordres du roi et de traités particuliers. Maintenant, leur existence est appuyée sur les titres que les lois exigent pour donner à un corps ou à une communauté un état légal.

[[ II. Aujourd'hui, les Comédiens sont ce qu'ils étaient avant ces lettres-patentes, c'està-dire, de simples artistes réunis en société purement conventionnelle. Mais ils sont, quand à l'exercice de leur état, sous la surveillance spéciale de la police. V. les lois des 13 janvier 1791, 2 et 14 août 1793, l'art. 365 de la constitution du 5 fructidor an 3, l'arrêté du directoire exécutif, du 25 pluviose an 4, et le décret du 8 juin 1806. ]]

III. Après avoir fait l'historique de l'éta

blissement de la Comédie en France, nous allons maintenant considérer les Comédiens

dans les différens rapports qu'ils ont avec le public.

IV. On distingue en France deux sortes de Comédiens : ceux qui sont sédentaires, comme les Comédiens français et italiens établis à Paris ; et les ambulans, comme les Comédiens de campagne, qui séjournent tantôt dans une ville, tantôt dans une autre.

V. La profession de Comédien est honorée en Angleterre. Mademoiselle Olfields partage, dans l'église de Westminster, la sépulture des rois. Son tombeau est à côté de celui de Newton.

En France, cette profession est moins honorée. Cependant, si l'on fait attention aux talens qu'elle exige, ceux qui l'embrassent devraient jouir sans doute de la considération que les arts nobles et agréables méritent; le préjugé national qui s'est élevé contre eux, a pris sa source dans la conduite des premiers Comédiens. S'il y a des exemples qui le jus tifient encore, il faut avouer qu'ils sont rares aujourd'hui, et qu'il y a beaucoup de Comédiens dont les mœurs et l'honnêteté font désirer la destruction de ce préjugé. Aussi l'estime et la considération personnelle dont ces derniers jouissent, les dédommagent de l'injustice du préjugé; et cette récompense de

leurs talens est peut-être plus flatteuse par les difficultés qu'ils ont eues à vaincre pour l'obtenir. Au reste, cette dissertation littéraire n'entre point dans le plan que nous nous sommes proposé : nous devons nous borner à montrer de quelle manière ils sont traités par notre jurisprudence.

Plusieurs anciens conciles, tels que celui d'Elvire, tenu en 1305, celui d'Arles, tenu en 1314, ceux de Mayence, de Tours, de Reims, et de Châlons-sur-Saône, tenus dans le commencement du 9.e siècle, prononcent des peines contre les Comédiens qui existaient alors, c'est-à-dire, contre des histrions et des farceurs publics. L'église, en prononçant ces peines, a voulu détruire une source de dé bauches et d'obscénités que ces spectacles grossiers et contraires à la décence, répandaient dans la société.

Mais il faut avouer que nos spectacles, tels qu'ils existent aujourd'hui, n'ont rien de commun avec ceux qui existaient avant le 9.e siècle : les leçons de vertu, d'humanité et de morale que les organes des plus grands auteurs que la France ait produits, donnent sur la scene, assurent une distinction méritée à notre spectacle sur celui des anciens, et même pièces de théâtre ne sont plus aujourd'hui des sur ceux des autres nations de l'Europe. Nos

farces monstrueuses et obscènes; ni les acpulace grossiere. Nous avons relégué cette teurs, des baladins faits pour amuser une poclasse d'hommes méprisables sur les tréteaux qui s'élèvent dans les places publiques. Par les précautions que le gouvernement a prises et par les effets de la protection dont nos rois pour perfectionner la comédie en France, ont honoré, depuis un siècle, le théatre Français, nos spectacles n'offrent plus les dangers qu'ils présentaient dans l'enfance et la barbarie d'un art que le dernier siècle a vu naître. D'après ces observations puisées dans notre histoire, ne peut-on pas dire que la plupart des peines qui ont été prononcées avant le 17. siècle contre les Comédiens, regardent bien moins les Comédiens véritables, que les farceurs publics et les baladins qui existaient avant eux?

Cette vérité nous paraît démontrée par les dispositions même de nos ordonnances. En effet, celle d'Orleans, art. 4, défend « à tous »joueurs de farce, bateleurs et autres sembla»bles, de jouer aux jours de dimanches et fêtes »pendant les heures du service divin, et de se »vêtir d'habits ecclésiastiques, de jouer choses »dissolues et de mauvais exemples, à peine de »prison et de punition. »

Il résulte de cette loi, que les théâtres

étaient bien éloignés d'être alors des écoles de morale et d'humanité, puisque le législateur était obligé de prononcer des peines sévères contre la licence qui y régnait. On ne peut donc faire aucune comparaison entre les spectacles des baladins et des farceurs qui ont précédé les véritables comédiens en France, et notre theatre national, tel qu'il existe depuis un siècle.

Aussi Louis XIII, par sa déclaration du 4 avril 1641 (en renouvelant les défenses prononcées par ses prédécesseurs contre les comédiens, de représenter aucune action malhonnéte, et d'user de paroles lascives et qui puissent blesser l'honnêteté publique, sous peine d'être déclarés infámes, d'amende et même de bannissement), a-t-il dit qu'il entendait que les Comédiens qui se conforme. raient à cette loi, ne seraient point exposés au bláme qui couvrait auparavant leur profession, et que leur exercice ne pourrait préjudicier à leur réputation dans le com merce public.

Cette loi prouve d'une manière évidente, que nos rois ont voulu que les Comédiens fussent distingués des farceurs qui les avaient précédés, et qu'ils ne fussent pas exposés au bláme dont ces farceurs étaient couverts.

[[Il s'est élevé, dans l'assemblée constituante, le 24 décembre 1789, une question fort intéressante sur les Comédiens. Elle consistait à savoir s'ils pouvaient élire et être élus, soit dans les assemblées de communes, soit dans les autres assemblées politiques. Voici comment M. Briois de Beaumets a traité cete question : « Les lois que vous allez créer, seraient-elles, pour les Comédiens, plus sévères que les lois anciennes? L'opprobre qu'on a répandu sur cette profession, qui exige tant de talens, n'a jamais été lancé par nos lois civiles, mais par des décrets ecclésiastiques : il n'existe pas une seule loi en France qui déclare la profession de Comédien infâme. Eh! Qu'aurait-il fallu penser en effet d'un peuple dont les lois auraient couvert d'infamie les Comédiens, et qui, par d'autres lois, ensuite, aurait erige des theatres, et en aurait protégé les jeux de toute l'autorité et de toute la force publique? Un homme d'un génie immortel et dont le nom a acquis une nouvelle gloire, lorsqu'il a été prononcé plusieurs fois dans cette tribune, le citoyen de Genève, Rousseau, il est vrai, lorsqu'il a attaqué les théâtres et les Comédiens, semble avoir transforme un préjugé populaire en une vérité philosophique; mais Rousseau ne parlait qu'à sa patrie, c'est-à-dire, à une petite république où l'égalité et la liberté ne pouvaient se maintenir que par une extrême

sévérité de mœurs; ce n'est qu'aux Genevois qu'il pouvait adresser cette apostrophe : qu'auriez-vous besoin d'aller chercher des émotions aux théatres? N'avez-vous pas des femmes et des enfans? Dans les grandes villes de la France, et surtout dans cette immen. se capitale, une multitude de citoyens de toutes les classes pourraient répondre à Rousseau : non, nous n'avons ni femmes ni enfans; et, pour trainer avec courage le poids de la vie, nous devons choisir entre des voluptés qui nous corrompraient et ces émotions du théatre qui peuvent nous rendre meilleurs.

» Si les mœurs des Comédiens étaient nécessairement infames, ce n'est pas les Comédiens seulement qu'il faudrait proscrire, mais le theatre; il faudrait porter la hache et la flamme sur ces temples élégans, consacrés aux chefs-d'œuvre du plus beau de tous les arts de l'imagination.

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Supprimons, cela pourrait être utile, cette multitude de petits theatres destinés aux classes inférieures du peuple à qui ils donnent plus de vices que de plaisirs, et propres seule. ment à préparer le despotisme, par la corrup

tion ».

Après avoir conclu de ces raisons, qu'aucune profession ne devait empêcher d'être eligibles ceux qui d'ailleurs réunissaient toutes les conditions d'éligibilité requises par la constitution, M. de Beaumets a cédé la parole à M. Marnezia qui l'a combattu par des raisonnemens très-spécieux.

« Vous vous honorez (a-t-il dit) de puiser la plupart de vos principes dans les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau ; puisez-les donc tout entiers. Le Contrat Social n'est pas le seul ouvrage de Rousseau. Relisez une autre de ses productions les plus sublimes, sa lettre à d'Alembert contre les spectacles; vous vous y convaincrez combien il est impossible que le théâ tre, ce tableau de toutes les passions, ne soit pas toujours funeste aux mœurs de ceux qui les représentent; vous y verrez combien des âmes toujours agitées de plus d'impression que n'en donne la nature, sont prompts à recevoir l'impressionde tous les vices. Vous, les representans de la nation aujourd'hui la plus auguste de l'univers, voudriez-vous élever à vos fonctions éminentes des hommes qui prostituent tous les jours leur caractère dans les farces qu'ils jouent, et qui, après avoir dicté ici les lois de la nation, iraient au théâtre faire couvrir les législateurs du peuple de ses huées? Il ne faut pas sans doute fletrir l'état de Comédien, mais il ne faut pas l'honorer. On vous dit que ce sera les fletrir que les exclure de l'éligibilité; mais quelle

apparence! Vous auriez donc flétri aussi tous les citoyens qui n'ont pas de propriété territoriale, tous ceux qui n'auront pas assez de fortune pour payer une contribution directe d'un marc d'argent!

» Non, entre les honneurs et le déshonneur, il y a l'estime toujours accordée à qui s'en rend digne, et que pourront obtenir les Comédiens lorsqu'ils résisteront aux séductions de leur état ».

A cette adroite et ingénieuse défense d'un préjugé, M. de Mirabeau l'aîné a opposé ce qu'avait dit M. de Beaumets, qu'il n'existe pas en France de loi qui ait fletri l'état de Comédien ; « Mais (a-t-il ajouté) M. de Beaumets n'a pas assez prouvé; je viens vous ap» porter la preuve que non-seulement il n'existe "pas dans notre ancienne législation de loi » aussi barbare; mais qu'il en existe qui défen»dent expressément de répandre le blame et » l'injure sur l'état des Comédiens, lorsque, » dans les pièces qu'ils joueront, ils respecte>>ront les mœurs qu'ils peignent; c'est là, en » effet une disposition expresse de cette belle >> ordonnance d'Orléans, l'un des titres de la » gloire du chancelier l'Hôpital ».

pas

On sent, d'après cela, que les Comédiens ne devaient être exclus de l'éligibilité, par la scule raison qu'ils étaient Comédiens. Aussi a-t-il été décidé à la presqu'unanimité des voix, par le décret du 24 décembre 1789, qu'il ne pourra être opposé à l'éligibilité d'aucun citoyen, d'autres motifs d'exclusion que ceux qui résultent des décrets constitutionnels ».

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C'est dans le même esprit, quoique pour un objet différent, que, par l'art. 5 du décret du 28 mai 1790, il est dit qu'« aucun citoyen » reconnu actif, de quelque état et profession » qu'il soit, ne pourra être exclu des assem» blées primaires ». ]]

VI. Nous avons dit que le gouvernement a pris des précautions pour empêcher que la décence et l'honnêteté ne fussent blessées dans les pièces de théâtre. Le commissaire de la Mare rapporte en effet une ordonnance de police rendue en 1609, qui « défend aux Comé» diens de jouer aucunes Comédies ou farces, » avant de les avoir communiquées au procu>> reur du roi ».

On ne suit plus aujourd'hui, il est vrai, cette ordonnance; mais on y a substitué la forma lité de l'approbation que le magistrat donne sur celle du censeur de la police. Ainsi, c'est une règle constante, que les Comédiens ne peuvent jouer aucune pièce, qu'après qu'elle a été approuvée du censeur de la police et du

magistrat. Par cette précaution sage, le théâtre des Français est le spectacle le plus décent et le plus honnête de l'Europe.

[[L'art. 6 de la loi du 13 janvier 1791, en plaçant « les membres des différens theatres » sous l'inspection des municipalités », ajoute que « les officiers municipaux ne pourront pas arrêter ni défendre la représentation d'une » piece, sauf la responsabilité des auteurs et » des Comédiens ».

Mais il est dérogé implicitement à cette disposition, par le pouvoir que la loi du 14 août 1793 attribue aux municipalités de diriger les spectacles; et c'est ce que déclare formellement l'arrêté du directoire exécutif du 25 pluviose an 4.

Aussi le décret du 8 juin 1806 porte-t-il en termes exprès, art. 14, qu' « aucune pièce ne » pourra être jouée, sans l'autorisation du mi»nistre de la police générale ». ]]

VII. Les Comédiens français'ont un privilége exclusif. Il n'appartient qu'à eux seuls de jouer des Comédies dans la capitale, et d'y représenter des tragédies. Aussi, toutes les fois que d'autres Comédiens, ou même des farceurs, ont voulu s'établir et jouer à Paris, les tribunaux se sont empressés de maintenir les Comédiens français dans leur droit exclusif. C'est ce qui a été jugé par plusieurs sentences de police, et par plusieurs arrêts du parlement.

On se rappelle que les Comédiens furent réunis par Louis XIV, en 1680; et nous devons ajouter que, par un arrêt du conseil, du 1.er mars 1688, ils furent autorisés à acheter le jeu de paume de l'Etoile, pour y faire construire une nouvelle salle de spectacle. Cette salle n'était pas encore achevée, qu'on essaya de porter atteinte au privilege exclusif des Comédiens français. La demoiselle de Villiers fit construire un théâtre à Paris, et y fit représenter des Comédies par des enfans, sous le titre de petits Comédiens français. Les Comédiens denoncèrent au roi cette entreprise; et, par un ordre exprès de sa majesté, le théâtre de la demoiselle de Villiers fut fermé sur-le-champ.

En 1707, on forma une nouvelle entreprise contre le privilege des Comédiens français. Les danseurs de corde de la foire Saint-Germain prétendirent avoir le droit de jouer des comédies sur leur theatre, et ils en jouerent en effet. Ils fondaient leur prétention sur les franchises de la foire. Le cardinal d'Estrées, alors abbé de Saint-Germain, les appuya de son credit; mais les Comédiens français s'adresserent au parlement;, et réclamerent

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