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DC
130
.N22
A3

1866

884191-190

PRÉFACE

Ce qui fait le charme et l'attrait des mémoires historiques, c'est d'y voir les personnages comme ils sont le plus souvent dans la vie ordinaire, posant devant vous, au milieu d'une société dont on saisit là, plus facilement que dans l'histoire, les mœurs, les usages et les préjugés. Malheureusement, et c'est là le côté fàcheux de ce genre d'écrits, ces mémoires ne sont bien souvent qu'une longue apologie de celui que l'amour-propre, ou quelque autre sentiment égoïste, a poussé à mettre en relief une personnalité plus ou moins intéressante.

Le temps où nous vivons pourrait nous en fournir un bon nombre d'exemples. Mais il est d'autres écrits où l'écrivain, s'effaçant complétement, se borne à raconter ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu, tenant en quelque sorte un journal quotidien de tout ce qui se passe autour de lui, recueillant précieusement les anecdotes, les conversations, tous ces mille petits faits, que ne peuvent faire connaître ni l'historien ni même le journaliste, et faisant ainsi assister son lecteur à toutes les joies, les colères, les espérances diverses qui constituent la vie intime de chaque époque. C'est parmi ces der

niers que se range le personnage dont nous publions aujourd'hui le journal.

Pierre Narbonne vint fort jeune s'établir à Versailles dans les dernières années du règne de Louis XIV. Il remplit d'abord pendant quelque temps les fonctions d'huissier. Puis il abandonna sa charge pour entrer dans les bureaux du domaine de Versailles. Louis Blouin, premier valet de chambre du Roi, était alors gouverneur de Versailles. Ces fonctions de gouverneur de Versailles, depuis la construction du Château, avaient toujours été remplies par le premier valet de chambre du Roi. Sous Louis XIII, son valet de chambre Arnault, parent du père Joseph, obtint cette charge. Lorsque Arnault mourut, Louis XIV nomma pour le remplacer Bontemps, son premier valet de chambre, et, en 1701, à la mort de Bontemps, ce fut Blouin qui lui succéda. Blouin avait, comme Bontemps, la confiance du Roi, et connaissait les secrets intimes de Louis XIV et de Mme de Maintenon. « C'était, dit Saint-Simon, un homme de beaucoup d'esprit, qui était galant et particulier, qui choisissait sa compagnie dans le meilleur de la Cour, qui régnait chez lui dans l'exquise chère, parmi un petit nombre de commensaux grands seigneurs ou de gens qui suppléaient d'ailleurs aux titres, qui était froid, indifférent, inabordable, glorieux, suffisant et volontiers impertinent. Ce fut un vrai personnage qui se fit valoir et courtiser par les plus grands et par les ministres, qui savait bien servir ses amis, mais rarement, et n'en servait point d'autres, et ne laissait pas d'être en tout fort dangereux et de prendre en aversion sans cause et alors de nuire

infiniment. » Quoi qu'il en soit de ce portrait, que Saint-Simon a peut-être un peu exagéré, car il n'était pas de ses amis, Blouin s'occupa beaucoup de la ville de Versailles, et cette ville lui dut ses principales institutions. Si l'on en croit Narbonne, Blouin, par la facilité qu'il avait de voir le Roi presque à toutes les heures de la journée. et comme premier valet de chambre, et comme gouverneur de Versailles et de Marly, rendit de nombreux services non-seulement à beaucoup de personnes de la Cour, mais encore à un grand nombre d'habitants de Versailles. Un homme si fort avant dans les bonnes gràces du Roi dut recevoir de lui de larges gratifications. Il cumulait en effet les appointements de la charge de premier valet de chambre à ceux des gouvernements de Versailles et de Marly, du gouvernement de Coutances, et le Roi lui avait donné en outre le beau haras du Pin, ce qui fit dire à Saint-Simon indigné : « Le Roi donna 3,000 livres d'augmentation à Saint-Hérem, gouverneur et capitaine de Fontainebleau, qui en avait déjà une pareille, pour qu'il eût 6,000 livres de pension, comme avait son père. En même temps il chargea la province de Normandie de 12,000 livres d'appointements pour le gouverneur de Coutances, en faveur de Blouin, un de ses premiers valets de chambre, à qui il a donné le haras de Normandie qu'avait Monseigneur. Il est vrai que, pour un valet qui avait d'autres pensions, et avec elles la pécuniaire intendance de Versailles et de Marly, c'était peu que le double d'un seigneur fort mal dans ses affaires. » Malgré cette boutade de Saint-Simon, Blouin n'en fut pas moins un homme fort distingué.

Lorsque Louis XIV fut mort, que le duc d'Orléans eut emmené le jeune roi Louis XV à Vincennes, et que la Cour eut abandonné Versailles, Blouin, resté seul au gouvernement de la ville, s'occupa particulièrement de ses intérêts.

L'une des attributions du gouverneur était la police. Sous Louis XIV elle s'était toujours faite par des agents secondaires. Blouin sentit la nécessité de la centraliser. Il créa, sous l'autorité du bailli, un commissariat de police, et ayant remarqué le zèle et l'intelligence de Narbonne, il le nomma à cet emploi.

Narbonne était un de ces hommes d'ordre qui recueillent et classent méthodiquement tous les papiers plus ou moins intéressants qui leur tombent sous la main. Ce goût devait trouver toute sa satisfaction dans la place qui venait de lui être donnée. Aussi, lois, lettres-patentes, arrêts du Conseil, arrêts du Parlement, jugements, décisions du bailli, pamphlets, caricatures, etc., il recueillit tout, classa tout, et en forma un recueil composé de vingt-quatre volumes in-4o, aujourd'hui déposé à la bibliothèque de la ville de Versailles. Mais Narbonne, placé dans une ville séjour de la Cour, protégé par un homme vivant presque dans l'intimité du Roi, obligé par sa charge d'avoir avec lui des rapports journaliers, mis ainsi au courant d'une foule de faits concernant les grands seigneurs, et, d'un autre côté, étant en contact continuel avec les gens composant leurs maisons, dut recueillir un bon nombre de particularités qu'il s'empressa de consigner dans son recueil; aussi la partie la plus intéressante de cette collection est ce qu'il a écrit lui-même. Ce

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