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LE LUXE DES FEMMES ET SES DANGERS.

Les faits sur lesquels s'appuie cette esquisse sociale ne sont pas nouveaux ; et tout observateur attentif a pu, depuis plusieurs années, les remarquer en maintes circonstances et en divers pays. Les critiques auxquelles ils ont donné lieu, ont été présentées avec énergie dans la chaire, dans la presse, dans les conversations privées : néanmoins, leur effet a été de courte durée, et le luxe, à peine arrêté dans sa marche rapide, s'est développé avec une force croissante. Contre un ennemi aussi tenace et aussi dangereux, on ne saurait livrer trop de combats, et ce n'est que par une lutte répétée et par l'association des gens de bien qu'on peut espérer de le vaincre.

Ayant eu récemment occasion de séjourner dans une ville de bains célèbre, le luxe insensé des femmes a produit sur nous une impression plus vive que de coutume. Quoique, à force de le voir passer et repasser sous nos yeux dans les grandes capitales et les villes de bains à la mode, l'esprit finisse par se blaser sur cet étrange phénomène, il nous est apparu cette fois plus en relief; et notre attention s'est trouvée fortement attirée sur ce sujet plein d'enseignements.

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On ne peut se dissimuler que ce mal s'est répandu à un rare degré; et on serait presque tenté de croire qu'il s'accroît encore, si toutefois c'est possible. Après la peste, il n'est pas de maladie plus contagieuse enfin, le luxe, élevé à cette puissance, est vraiment devenu une calamité publique.

Son action pernicieuse s'étend sur les fortunes, la famille, la société. Il les altère et les ruine.

les mœurs,

I.

LES FORTUNES.

Il est un problème toujours nouveau, et dont nous cherchons sans cesse la solution; le voici dans toute son actualité :

Comment faire face aux dépenses effrénées que le luxe entraîne?

S'il s'agissait seulement de pays aristocratiques et à grandes fortunes comme l'Angleterre, on pourrait jusqu'à un certain point s'en rendre compte; mais on sait que dans nos pays démocratiques le nombre des grandes fortunes est très-limité, et le luxe au contraire fort général et presque sans limites. Son essor est devenu prodigieux.

Cette lèpre a envahi toutes les classes, a pénétré jusque dans le peuple même, et y a fait germer d'insatiables cupidités.

C'est là le trait caractéristique de notre temps.

Nous ne prétendons certes pas que ce mal ait été inconnu de nos ancêtres, et nous n'ignorons point les diverses époques où il a sévi avec force.

Pour ne citer que les plus récentes, sous Louis XIV, il s'était beaucoup étendu; et dans ses remarquables Mémoires, Saint-Simon nous le montre envahissant la cour et une partie de la ville. « Ce Prince, dit-il, aima en tout la splendeur, la magnificence, la profusion. Ce goût, il le tourna en maxime par politique, et l'inspira en tout à sa cour. C'était lui plaire que de s'y jeter en table, en habits, en équipages, en bâtiments, en jeu. Le fond était qu'il tendait, et parvint par là, à épuiser tout le monde en mettant le luxe en honneur, et pour certaines parties en nécessité... »

On se souvient du luxe scandaleux qu'avait produit le système de Law, ainsi que les corruptions de la Régence. Les Mémoires de cette époque - ceux de Saint-Simon, Barbier, Marais, Duhauchamp nous en retracent le tableau complet; mais l'on sait aussi où cette corruption et ce luxe conduisirent la France du xvIIe siècle.

Toutefois, il existe entre ce temps et le nôtre une différence radicale la généralité.

Jadis, le mal attaquait surtout les classes élevées de la société, où il est juste de reconnaître qu'il a toujours plus ou moins existé. L'histoire et les mémoires du temps nous le montrent dominant sur la cour, la haute finance, les sommités de la ville; mais il sévissait peu parmi la bourgeoisie, sagement adonnée à l'épargne, et encore moins parmi le peuple. A quelques époques, une récrudescence violente se faisait sentir, le mal s'étendait; mais le torrent, un instant débordé, rentrait bientôt dans son lit, et reprenait sa marche régulière. On peut dire en général que la plus grande partie des provinces en était exempte.

Le fait spécial, le fait caractéristique de notre temps, c'est la généralité du luxe : c'est de ne plus être réservé comme autrefois à

une seule classe de la société, mais de se répandre partout et dans toutes les classes. En un mot, c'est la démocratisation du luxe. Cette lèpre ne s'est pas bornée aux seuls vêtements; et non-seulement dans les parures, mais aussi dans les habitations, les ameublements, les repas, règne une lutte de somptuosité.

Chacun, envieux, s'enfle et se travaille pour égaler ou même surpasser ceux d'un rang supérieur; les modestes fortunes se livrent à des efforts insensés pour imiter les grandes, et se donner un éclat factice et mensonger. Enfin, le luxe est devenu à tous les rangs et dans toutes les conditions l'universelle aspiration des cœurs.

Cette fièvre, au moins quant aux vêtements, a gagné les sages mêmes, et bien peu y résistent; tout en protestant dans son for intérieur, on est comme obligé de suivre la folie générale. Et qu'on ne vienne pas dire: Pourquoi ne pas résister à cet entraînement? car ce serait bien mal connaître le cœur humain.

Une femme, si sage, si vertueuse qu'elle soit, n'est pas moins une fille d'Eve, et ne peut rester insensible à cette terrible pression du luxe et de l'amour-propre; elle supporte difficilement d'être froissée, blessée à cet égard, et il faut un esprit bien ferme et un cœur bien détaché pour se mettre au-dessus de ces humiliations. Quelques âmes d'élite ont ce courage, mais l'immense majorité y succombe. Maintenant, nous le demandons: Comment cette majorité subvient-elle aux dépenses d'un luxe toujours croissant?

Comment peuvent faire, au milieu d'un tel débordement, ces classes nombreuses qui vivent de salaires fixes, ces employés aux modestes appointements, ces rentiers à revenus limités; et cela, au moment même où le prix des objets nécessaires à la vie a si fort augmenté! Cependant, emportés par l'amour-propre, et il faut aussi le reconnaître par la nécessité de soutenir leur rang social, ne sont-ils pas entraînés à des dépenses au-dessus de leurs forces?

Quel est ce mystère ?

Considérez ces chefs de bureau, ces magistrats, ces fonctionnaires qui tiennent souvent dans leurs mains les affaires les plus graves, et dont l'avis ou la signature décident d'intérêts publics ou privés considérables. Comment résistent-ils dans ce dur combat entre leur conscience et la nécessité? S'ils n'y succombent point et si leur conscience l'emporte, comment leurs femmes peuvent-elles, avec un budget si limité, soutenir le train nécessaire à leur position?

Qui paye ce luxe?

C'est alors trop souvent que se passent des mystères d'iniquité et de corruption, et que, à défaut de la ruine, le déshonneur s'introduit dans les familles. Ruine ou déshonneur, tel est donc le terrible dilemme du luxe.

Il existe, il est vrai, la ressource des dettes, des dettes si fréquentes aujourd'hui; non pas seulement des dettes reconnues et avouées dans le ménage, mais aussi de celles contractées à l'insu du chef de famille-par un si grand nombre de femmes, pour satisfaire leur coupable luxe. On n'ignore pas la ressource du crédit, de l'agiotage, peut-être même du jeu.

Mais ces moyens, plus ou moins précaires, ont des bornes et ne sont pas inépuisables. Cette position embarrassée est commune à bien des familles, et nous sommes très-convaincu que, si une catastrophe politique éclatait à l'improviste, un grand nombre de fortunes seraient immédiatement renversées, non par les pertes naturelles à tous en pareil cas, mais parce que, ne pouvant plus recourir à l'expédient du crédit, elles seraient contraintes à une désastreuse liquidation.

Il n'est pas douteux que ces difficiles et fréquentes situations entraînent souvent à la tentative, puis à la passion de l'agiotage et du jeu, si répandus de notre temps.

On a usé et abusé du crédit, on a épuisé ses ressources, le passif s'accumule de jour en jour, les échéances arrivent, et l'on sent bientôt s'approcher les inévitables conséquences !

C'est alors qu'une fatale pensée vient se dresser devant le prodigue, et que le démon du jeu lui souffle cette funeste inspiration: Tente la fortune, et tu pourras satisfaire ton luxe et tes désirs! » Malheur à l'insensé qui s'engage dans cette voie pleine de périls, car le terrible engrenage du jeu lache rarement ses victimes! Que de patrimoines ainsi anéantis ! que de maris dévorant la dot de leurs femmes, et de chefs de familles consumant le pain de ceux qu'ils doivent soutenir et protéger! que de déshonneurs et de ruines, larmes et de sang!

de

Mais ceux mêmes, en nombre infiniment faible, que la fortune favorise, n'en sont que plus ardents pour le luxe, confiants et convaincus qu'ils sont de pouvoir le satisfaire sans cesse. Il n'est pointde plus scandaleux exemple que celui de ces enrichis de la veille. Prodiguant leurs richesses avec la même facilité qu'ils les ont acquises, ces parvenus imposent à la société leur luxe insolent; on les cri

tique amèrement, mais on les imite, et, de proche en proche, cette lepre gagne les familles honnêtes, qui ne suivent le mouvement qu'en gémissant et en s'imposant souvent, dans leur intérieur, les plus dures privations. Il faut le dire hautement, rien ne trouble davantage la conscience publique que l'exemple de ces rapides enrichis; rien n'est plus propre à détruire le goût, déjà si altéré, du travail lent et sérieux; rien n'est plus fait pour exciter les ardentes convoitises et les cupidités à grande vitesse.

II.

LA FAMILLE.

Une des plus regrettables conséquences du luxe des femmes, est la désorganisation de la famille. Il atteint, en effet, la jeune fille, en la privant de sa pudeur, cette fleur si délicate, le mariage, en l'altérant dans sa source, la mère de famille, en la corrompan et en la détournant de ses devoirs, - enfin, les générations nouvelles elles-mêmes.

On connaît la tenue moderne des jeunes filles, et l'influence extrême ou plutôt la fascination, que le luxe exerce sur elles.

Qui n'a observé la jeune fille sortant de pension, encore simple, et vêtue avec modestie? Peu de temps s'écoule, et bientôt, au contact de connaissances ou d'amies plus âgées, une métamorphose s'opère. Aux vêtements modestes ont succédé les couleurs écla tantes, la jupe se développe avec ampleur et remplit l'espace, -des plumes de paon ou des aigrettes versicolores se dressent sur sa tête; dans sa démarche, elle se cambre, se balance et jette aux passants des regards hardis. En un mot, la timide chrysalide s'est transformée en un brillant papillon.

Il faut maintenant la marier. De quelle manière s'opèrent aujo ur d'hui les mariages? Cet engagement, si solennel et si grave, est-il longuement médité? A-t-il pour préparation nécessaire une connaissance approfondie du caractère et des mœurs des conjoints? Bien rarement.

Dans la plupart des cas, c'est simplement une affaire, un acte de société à deux on s'informe seulement de la dot et des espérances, - mot gracieux pour désigner la mort plus ou moins prochaine des parents. Quelle est la cause de ce triste système? Le luxe. Il faut bien l'avouer, en présence des dépenses croissantes des femmes, cette

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