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vince pour venir se ruiner à la cour et y donner l'exemple de la servilité; plus tard, elles s'étaient précipitées dans les honteux agiotages du système de Law, et y avaient perdu leur dignité et leur honneur. On ne saurait croire le trouble moral que produisit dans les esprits cette corruption de la Régence et le profond mépris qu'elle inspira au peuple pour les classes favorisées de la fortune. Entraînées par le sensualisme, celles-ci ne voyaient pas l'abîme prêt à les engloutir; dans leur aveuglement elles ne le soupçonnaient même pas. Enfin, lorsque le luxe et la corruption eurent porté leurs fruits naturels, 1789 apparut, et l'ancien édifice social s'écroula dans la boue et le sang!

En 1848, a éclaté sur nous, comme un coup de foudre, une révolution qu'on a nommée à tort peut-être la révolution du mépris; mais tout en faisant la part de cette exagération, il n'en est pas moins vrai que les classes alors dirigeantes, peu soucieuses des sentiments populaires, ne se préoccupaient que de leurs intérêts personnels et perdaient ainsi leur force morale: cette force, leur principal rempart contre le socialisme. Cependant apparaissaient des symptômes sérieux, indice d'un trouble moral analogue à celui qui s'était produit avant 1789 et à celui que nous subissons actuellement partout s'agitaient des idées de transformation sociale.

Aveugle et absorbée dans le culte de ses intérêts matériels, la bourgeoisie n'apercevait pas le danger qui la menaçait; et, il faut bien l'avouer, par cet aveuglement et cet égoïsme, elle a fortement contribué à la soudaine catastrophe de Février.

Profitons donc de l'expérience du passé : combattons cette gangrène du luxe qui nous ronge et employons tous nos efforts pour

le vaincre.

VI.

Nous concluons. Une réaction contre le luxe est indispensable, urgente, et, pour réussir, il faut une généreuse coalition de toutes les intelligences et de toutes les âmes élevées. Devant une telle œuvre, il n'est point de parti, et tous les gens de bien sont ici solidaires.

Il faut bien se persuader que les lois ont peu d'efficacité pour combattre un ennemi aussi insaisissable: en frappant le luxe coupable, on risque d'atteindre en même temps la richesse innocente et utile, et c'est ce que nous montre l'étude des lois somptuaires, qui ont rarement atteint leur but. De nos jours surtout, avec les idées.

de liberté commerciale développées par l'économie politique, elles seraient impraticables. D'ailleurs, en pareil cas, que sont les lois sans les mœurs? Vaines. C'est donc aux mœurs et à l'initiative des bons citoyens qu'il faut faire appel.

Dans un pays voisin on a fondé, contre l'abus des boissons enivrantes, des sociétés de tempérance: pourquoi, contre les abus de la passion enivrante du luxe, n'essayerait-on pas des sociétés semblables?

On assure que, aux États-Unis, de sages esprits, éclairés par l'exemple d'une terrible guerre civile, et d'un point de vue élevé, en apercevant la cause dans l'altération des mœurs autant que dans la rivalité du Nord et du Sud, ont déjà tenté des associations de cette nature.

Un moyen qui ne manquerait pas de puissance, serait l'exemple descendant du trône; mais ce noble exemple serait-il donné partout? Il est permis d'en douter. Adressons-nous donc plutôt à l'initiative des bons citoyens.

Aux classes supérieures, il importe surtout de donner cet exemple: il ne suffit pas de critiquer le luxe, si, tout en le blâmant, on n'a pas le courage de s'y soustraire. Il leur faut payer de leur personne, secouer le joug et ne pas oublier que le mal est descendu de leurs régions, pour se répandre de là dans les rangs inférieurs. Elles doivent donc réparer le mal grave qu'elles ont causé, et marcher à la tête de cette généreuse croisade: c'est leur devoir et leur honneur, mais c'est aussi leur intérêt. Qu'elles ne se fassent pas d'illusion; dans les agitations politiques, conséquences d'un luxe effréné, les classes supérieures seront les premières et les plus gravement atteintes. Il est donc de leur intérêt de s'unir pour résister et combattre : il est de leur intérêt d'opposer à cette marée montante du luxe la coalition de toutes les forces saines de la société.

Toutefois, nous ne nous le dissimulons pas, ces divers moyens, quoique précieux, sont au fond insuffisants.

Un seul est réellement puissant, vraiment efficace : c'est l'abandon des doctrines sensualistes et le retour complet aux idées chrétiennes; une réforme véritable n'est possible qu'à ce prix. Attaquons donc avec courage la gangrène qui nous ronge, et qui est parvenue à détruire le puissant empire romain. Malgré de graves symptômes, malgré de sérieuses analogies, il existe entre cette époque et la nôtre une différence fondamentale : le christianisme. C'est par le christianisme que les nations modernes sont guérissables; là est leur unique source d'espérance, et sans la foi elles descendraient

la pente romaine. Dans le christianisme est donc la question de vie ou de mort, la question d'avenir de nos sociétés. Si elles reviennent aux idées chrétiennes dont elles se sont écartées, elles y trouveront la guérison du mal qui les mine : si, au contraire, elles s'en éloignent et s'adonnent de plus en plus aux jouissances matérielles qui les passionnent aujourd'hui, rien ne pourra les défendre contre un honteux abaissement, et la démocratie, cette nouvelle forme sociale, ne les sauvera pas. Malgré les plus brillants progrès matériels, elles subiront des périodes successives d'anarchie et de despotisme, telles que l'histoire nous les présente dans le passé, et telles que nous les avons connues depuis la fin du siècle dernier.

Mais repoussons une pareille pensée. Les nations modernes, malgré de regrettables tendances, sont au fond plus chrétiennes que les propagateurs des doctrines impies ne le pensent, et par cela même elles sont guérissables. En vain voudrait-on leur inculquer la funeste doctrine du fatalisme, renouvelée des Césars: elles savent qu'elles sont libres dans leur arbitre, libres de se mouvoir dans le vaste cercle que Dieu leur a tracé, libres de choisir entre la voie qui conduit au salut et celle qui mène aux abîmes. Or, la voie du salut, c'est le retour aux idées chrétiennes : elles seules ont assez de force pour vaincre le luxe par l'humilité, les jouissances matérielles par la mortification, enfin les haines sociales et la misère par la charité.

Marchons donc avec courage sous la Croix, et par ce signe nous serons victorieux.

A. WIDMER.

BONJOUR, PHILIPPE!

(Suite) (1).

V.

L'ONCLE BAZER.

Neerstein est situé à deux lieues environ d'Anvers ; c'est un vieux bâtiment carré, qui porte le nom de château à cause de ses deux tours, ce dont l'oncle Bazer, - vous pouvez m'en croire, est plus fier qu'il ne veut bien le paraitre.

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Ces deux fameuses tours n'offrent cependant que l'image assez fidèle de deux éteignoirs.

L'oncle ne peut se vanter du plus vulgaire blason, il n'a pas droit à ce blason aristocratique aux mille couleurs, aux animaux fabuleux et aux monstres impossibles.

Après avoir péroré pendant toute sa vie contre la féodalité et les aristocrates, histoire de la fable du Renard et les Raisins,-le nouveau riche serait au comble de ses vœux s'il pouvait se parer du moindre titre.

La supériorité est si douce à ceux qui trouvent dure la supériorité des autres !

La maison se nomme Neerstein, pourquoi ? Je n'en sais rien. Lorsque, il y a un certain nombre d'années, l'oncle voyageait à l'étranger, on pouvait lire sur ses cartes de visite et sur la plaque de cuivre de sa malle, un Ch. qui faisait penser au titre de chevalier, mais qui signifiait Charles, Ch. Bazer de Neerstein, si l'on voulait aller au fond des choses.

Ceux qui connaissaient le personnage, riaient sous cape, c'est vrai, mais les kellner des hôtels de l'Allemagne, cette terre classique des titres et des particules, s'inclinaient avec un profond respect devant l'oncle, qui eut même à plusieurs reprises l'ineffable plaisir de s'entendre qualifier Votre Grâce, au grand allégement de son cœur et de sa bourse.

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Que voulez-vous! la gloire et les honneurs ne sauraient être trop payés.

Neerstein est situé sur le penchant d'une colline, au pied de laquelle (1) Voir la livraison du mois de septembre dernier.

s'étend une vallée. Un jardin anglais et une grille en fer séparent l'habitation du chemin qui serpente en gravissant la montée.

Le paysage, de ce côté, respire un calme profond.

Derrière la maison, un beau jardin, un verger rempli d'arbres fruitiers, plus loin un taillis, et enfin un bois de chênes et de sapins, forment du château une délicieuse retraite.

Au delà du bois se déroule aux yeux un magnifique tableau champêtre : ici, des champs de trèfle incarnat, là, des champs de colza doré et de lin aux fleurs d'azur, plus loin, de vastes bruyères bronzées qui s'étendent à l'horizon.

C'est au premier des deux paysages que Willem a donné la préférence, aussi longtemps qu'a vécu sa mère. Veuve d'un fonctionnaire de l'État, sous le gouvernement des Provinces-Unies, elle était venue, à la mort de son mari, chercher un asile auprès de son frère, l'oncle Bazer. Elle avait jusqu'alors habité la ville, où elle vivait dans une honnête aisance, mais plus tard, que faire, mon Dieu, avec une modique pension de quelques centaines de florins!

La vie fut, dès lors, bien amère à la pauvre veuve ! Elle s'efforça toujours de cacher autant que possible à son frère, le peu de sympathie qu'elle éprouvait pour lui, tout en vivant, pour ainsi dire, à ses dépens.

Quant à M. Ch. Bazer, ce n'était pas sans répugnance qu'il avait reçu sa sœur. Premièrement, une femme et un enfant enlèvent quelque chose de ce cher et précieux argent. Ensuite, il trouvait extrêmement ennuyeux d'être troublé dans ses manies, dans ses calculs, que sais-je encore dans quoi ?

Aussi le cher oncle ne se faisait-il pas faute de grommeler au moins une douzaine de fois par semaine sur les tracasseries et les inattentions de certaines gens; mais c'étaient là autant de coups d'épée dans

l'eau.

Madame Dros était un excellente femme, tout le monde était d'accord sur ce point. Elle prenait soin du ménage, prévenait les moindres caprices du vieux notaire, supportait sa mauvaise humeur, lui prodiguait mille attentions, à table, à la soirée, partout, dans le seul désir de lui être agréable et d'obtenir une bonne parole de sa part. Mais le vieux grognard ne lui en avait jamais témoigné sa satisfaction que par un sec merci, madame Dros! » et encore avait-il l'art de dire ces trois mots de la façon la plus désagréable possible.

Willem fut envoyé de bonne heure en pension, et lorsqu'il en revint, tout dans la maison lui parut beaucoup plus triste encore qu'auparavant; il retrouva sa mère bien changée et vieillie.

Quand il l'eût perdue, Willem cessa de trouver des charmes au paysage qui encadrait le château ; il prit goût à la solitude qu'il trouvait au bord de la rivière, dans les dunes, dans la bruyère, à la vie du campagnard

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