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TELLE ELLE est l'imperfection de la nature humaine, que les propositions abstraites, quelque vraies qu'elles soient, font peu d'impression. Sourds aux préceptes de la morale, nous écoutons volontiers les leçons de l'Histoire, et cela seul suffiroit pour prouver son utilité, si elle n'étoit pas universellement reconnue. En nous instruisant, elle nous plaît par la variété des objets qu'elle présente; nous intéresse et nous remue par ces révolutions et par ces secousses qui ébranlent les Empires et changent souvent la face du Globe. Ces effets, qui sont indépendans du style, se font mieux sentir, quand l'Ecrivain unit, avec la vérité, le rare talent de savoir la présenter. La première qualité est essentielle, la seconde n'est qu'accessoire. Sans la vérité, l'Histoire devient un Roman. Si l'on s'est d'abord laissé séduire par le charme du style, on revient peu à peu de son illusion, l'ouvrage tombe et disparoît pour toujours. Tome I.

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Il ne suffit pas à l'Historien d'être vrai, il doit encore tâcher de plaire. Son style, toujours noble sans enflure, se varie suivant les occasions. Il est simple sans bassesse, grand et même sublime sans bouffissure, fleuri sans affectation. La réunion de ces qualités compose l'Historien parfait.

Peu d'Ecrivains peuvent se flatter de les avoir réunies à un degré aussi éminent qu'Hérodote. Parlons d'abord de son amour pour le vrai. Quiconque lit avec attention son Histoire, reconnoît sans peine qu'il ne s'est proposé d'autre but que la vérité, et que lorsqu'il doute d'un fait, il expose les deux opinions et laisse à ses lecteurs le choix de celle qui leur plaira davantage. Si une particularité lui semble douteuse ou incroyable, il ne manque jamais d'ajouter qu'il se contente de raconter ce qu'on lui a dit. Entre mille exemples je n'en citerai que deux. Lorsque Nécos eut discontinué de faire creuser le canal qui devoit conduire les eaux du Nil dans le Golfe Arabique, il fit partir de ce Golfe des Phéniciens,

avec ordre de faire le tour de l'Afrique et de retourner en Egypte par les Colonnes d'Hercules, connues actuellement sous le nom de Détroit de Gibraltar. Ces Phéniciens revinrent en Egypte la troisième année après leur départ, et racontèrent entr'autres choses, qu'en naviguant (1) autour de l'Afrique, ils avoient eu le soleil à leur droite. Hérodote ne doutoit pas que les Phéniciens n'eussent fait le tour de l'Afrique; mais comme l'Astronomie étoit alors dans son enfance, il ne pouvoit croire qu'en le faisant ils eussent eu le soleil à leur droite. « Ce fait, dit-il, ne me >> paroît nullement croyable; mais peut» être le paroîtra-t-il à quelqu'autre ».

Voici le second exemple. Les Psylles étoient un petit peuple de la Libye qui habitoit en dedans de la Syrte. Comme leur pays étoit absolument sans eau, ils conservoient l'eau de pluie dans des citernes. Le vent du Midi les ayant desséchées, ils résolurent d'un consentement unanime, de faire la guerre à ce vent.

(1) Herodot. lib. IV, §. XLII.

On ne conçoit pas qu'un projet si extravagant ait pu entrer dans des têtes humaines. Hérodote l'a senti; et de crainte que, parmi ses lecteurs, il ne se trouvât quelqu'un qui le soupçonnât de croire de pareils contes, il (1) ajoute : « Je rapporte >> les propos des Libyens >>.

Une autre chose à laquelle on n'a pas assez pris garde, c'est que très-souvent il commence ainsi sa narration : Les Perses, les Phéniciens, les Prêtres d'Egypte m'ont raconté ceci ou cela. Ces narrations, quelquefois assez longues, sont soutenues sur le même ton dans l'original par ce mot qari, dicunt, ou exprimé ou sous-entendu. Le génie de nos langues modernes nous forçant à couper ces phrases, il est souvent arrivé qu'on a fait parler Hérodote en son propre nom, quoiqu'il parlât en tiers, et qu'on lui a attribué des faits dont il étoit très-éloigné de garantir l'authenticité.

Il a voyagé dans tous les pays dont il a eu occasion de parler. Il a examiné avec

(1) Herodot. lib. IV, §. CLXXIII.

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