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Bueil de se joindre à eux, introduisant ainsi les loups dans la bergerie et allant même jusqu'à avouer qu'il ne voulait rien décider contre leur bon plaisir. Les résolutions prises en commun furent les suivantes : Charles de France remercie Charles le Téméraire de son offre de concours et n'en a certes plus besoin, puisqu'il a libéralement obtenu du roi ce qu'il désirait en se rapprochant de lui, n'y ayant pu parvenir par d'autres moyens ; il se loue de la franchise et de la libéralité de son frère ; il s'est trouvé assez longtemps en tête-à-tête avec lui, et, n'ayant jamais entendu parler des mauvaises intentions du duc de Bourgogne, il refuse de prêter l'oreille à des bruits tendancieux; enfin, ayant accepté du roi l'ordre de Saint-Michel, dont il est fort content, il ne peut raisonnablement accepter en même temps l'ordre de la Toison d'or. Quant au mariage entrevu et à l'alliance offerte, il se contente de paroles vagues et imprécises qui ne le compromettaient pas les amis de nos amis sont nos amis, et le duc de Bourgogne est du nombre. Il est peu probable que ce dernier ait manifesté beaucoup de satisfaction en apprenant l'insuccès de ses démarches; ses ambassadeurs eux-mêmes ne reçurent même pas la vaisselle d'argent qu'à l'ordinaire on leur offrait en présent, au moment du départ, les représentants de Louis XI ayant conseillé au duc de Guyenne de s'abstenir d'un pareil cadeau.

Ainsi les deux frères sont parfaitement d'accord, et le duc Charles de Guyenne ira le 23 décembre rejoindre le roi à Tours, «< acompagné des nobles de sa duchié en moult grant, belle et noble compaignie » 2.

Il restait à ce prince un dernier lien avec la Normandie. Le roi songea à le supprimer. C'était l'anneau ducal qui lui avait été solennellement octroyé, le 1er décembre 1465, dans la cathédrale de Rouen 3; la superstition de Louis XI attachait à ce symbole une valeur morale considérable, et la rupture entre duc et duché ne pouvait être amenée que par une cérémonie toute semblable à celle qui l'avait accordé. Or, tandis que l'Échiquier

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2. Jean de Roye, t. I, p. 233; cf. Lettres de Louis XI, édit. Vaesen, t. IV, p. 68.

3. Voir au chapitre IV.

de Normandie tenait ses assises à Rouen, dans la grande salle du château, il parut naturel de profiter de la présence de nobles, de gens d'église, de notables et d'officiers expressément assemblés le 9 novembre 1469, sous la présidence de l'archevêque de Narbonne. Le connétable de Saint-Pol, nouveau gouverneur de la province, fit donner lecture de la lettre que le roi lui avait adressée à cet effet, le 1er novembre 2, pour rompre publiquement l'anneau « dont on disoit que le duc avoit espousé la duchié de Normandie ». Il ajouta quelques paroles habiles, affirmant l'amour du roi pour ses sujets normands et pour la justice, son ardent désir de réparer promptement les maux et excès dont toute la province avait souffert en raison des guerres et des dissensions passées, sa joie du retour de la province à la couronne après l'éloignement momentané auquel il avait dû consentir, sa réconciliation avec son frère qui, renonçant définitivement à ses prétentions sur le duché de Normandie et ne demandant plus qu'à devenir un ami dévoué et

1. Archives de la Seine-Inférieure, série B (Registre de l'Échiquier, à la date du 9 novembre 1469); cf. Floquet. Histoire du Parlement de Rouen, t. I 1840), p. 252 ; et Canel, Histoire de la Normandie sous Louis XI, dans le Recueil des travaux de la Société libre de l'Eure, 2 série, t. I (1841), p. 307.

2. Lettres de Louis XI, édit. Vaesen, t. IV, p. 45.

3. « Il remonstra la grant et perseverant amour et dilection que le roy avoit à ses subgietz du pays de Normendie, comme il vouloit et desiroit justice leur estre faicte et administree, repparation par effect estre faicte des maulx, torts et excès à eulx advenus; à quoy par aucun temps et durant les divisions passees n'avoit pu estre bonnement pourveu selon ce qu'il desiroit; qu'aussi le pais et duchié de Normandie, qui par aucun peu de temps avoit esté estrangié et esloingné de la main du roy, avoit esté par luy recouvert, remis et reuny à la couronne; que pareillement le roy avoit reduit et rappellé avec luy et en son obeissance monseigneur le duc de Guienne son frere, tellement qu'il s'estoit du tout deporté du droict qu'il pretendoit avoir au duchié de Normendie, et deliberé vivre et demourer à jamais en l'obeissance vraye et perdurable amour et union du rey. En remonstrance de ce, en signe aussi qu'il est tres content du duchié de Guienne que le roy, à sa tres instante priere, lui a baillee pour partage, le duc, sans ennortement quelconque de la part du roy, a envoyé audit roy nostre seigneur l'anel qui lui avoit esté baillié à Rouen en prenant possession du duchié de Normendie, comme son espouse, et à quoy il a renoncié, lequel anel le roy m'a envoié, et mandé et escript que en ce present eschiquier icelui anel soit publiquement cassé et rompu, comme il est apparu par les lettres d'icelui seigneur que Vous venez d'entendre ». (Archives de la Seine-Inférieure, Registre cité.)

très obéissant, avait de lui-même et sans contrainte renvoyé l'anneau, symbole de son union avec le duché, dont la suppression s'imposait. Ainsi fut fait. Une enclume et des marteaux avaient été préparés dans la salle. Livré aux sergents par le président, le fameux anneau fut brisé en deux morceaux 1 qui furent remis au connétable de Saint-Pol 2. Avec ce dernier vestige de la puissance éphémère de Charles de France disparaissait le titre de duc de Normandie 3

.

1

1. D'après Floquet, ouvrage cité, t. I, p. 256 (note), il existe une ancienne gravure qui représente cette cérémonie. Elle est certainement très postérieure à l'évènement.

2. En même temps les États de Normandie exhalèrent des plaintes très vives sur la situation de la population et contre le régime déchu ; ils se firent l'écho des doléances sur la détresse générale et les exactions commises par les pillards et les bandes armées.

3. Par acte signé à Tours le 18 octobre, Jeau duc d'Alençon prêta serment de fidélité au roi, s'engageant par écrit à communiquer à Louis XI les noms de tous les capitaines chargés de la garde de ses places et châteaux, et promettant de changer ceux qui ne seraient pas agréables à Louis XI; à son tour, étant à Vic-le-Comte le 16 novembre, Bertrand de La Tour, comte de Boulogne et d'Auvergne, promet fidélité au roi (Bibliothèque nationale, ms. français 15538, ff. 298 et 301).

CHAPITRE VI

CHARLES DUC DE GUYENNE

Lorsqu'on fut avisé dans le royaume que la paix était définitivement signée entre le roi et son frère, ce fut un soulagement général, presque une explosion de joie 2. Après quatre années de luttes intestines et d'inquiétudes permanentes, le peuple escomptait un peu de tranquillité. Partout, on avait commandé des réjouissances publiques, sonné les cloches, organisé des processions, chanté des Te Deum, allumé des feux de joie ; nous avons recueilli des précisions sur ces manifestations d'allégresse à Abbeville 3, à Laon, à Auxerre 5, à Sens, à Orléans 7, à Amboise, au Puy 9.

1. Les lettres missives royales, signées à Coulonges-sur-l'Autize le 14 septembre, avaient été expédiées immédiatement; elles arrivèrent à Orléans le 18, à Sens le 22.

2. L'ambassadeur milanais en France s'en fait l'écho dans une lettre datée du 9 décembre : « Quanto alla allegreza et consolatione presa per prefata Va Excellentia della nuova reconciliatione segnata fra sua Maiestà e lo illustrissimo signore duca di Ghienna suo fratello, e delle processioni, allegreza e festa facte secondo el costume di là per questa giocasa novella, ne prese sua Maiestà consolatione grandissima....., et che sanza fetto per quatre anni passati, di poi la partita de suo fratello sua Maiestà eva stata ben tribulata e affannata, ma che al presente per la ritornata sua Dio per sua clementia la haveva cavata de ogni affanne ». (Bibliothèque nationale, ms. italien 1639, fo 254 vo.)

3. Prarond, Abbeville au temps de Charles VII et de Louis XI (Paris, 1899, in-8), p. 207.

4. Archives communales de Laon, CC 14.

5. Archives départementales de l'Yonne, G 983.

6. Archives communales de Sens, CC 4, fo 62.

7. Archives communales d'Orléans, CC 561.

8. Archives communales d'Amboise, BB 1, fo 40.

9. La nouvelle parvint au Puy le 20 septembre; sermon, procession, feux de joie furent autant de manifestations non spontanées. Le 25, on reçut l'avis officiel par l'intermédiaire de l'évêque, absent; les cloches tintèrent de nouveau en signe d'allégresse, tandis qu'on entonnait le Te Deum à la cathédrale, et "ne fit rien le peuple de tout un jour ". (Chroniques d'Étienne Médicis, publ. par Chassaing, t. I, p. 257).

Mais ce fut surtout en Guyenne que l'on apprécia le changement de politique. Cette province et les pays voisins (Périgord, Limousin, Marche, Auvergne, Languedoc) étaient exposés depuis longtemps aux méfaits des gens d'armes qui, sous couleur de s'assembler pour s'enrôler sous la bannière royale, se livraient aux plus fâcheux désordres; le pillage, le meurtre, le viol, les destructions des églises et des propriétés étaient monnaie courante; on s'y croyait revenu aux plus mauvais jours de la guerre de Cent Ans; en outre, la menace d'une nouvelle invasion anglaise était toujours suspendue sur la tête des malheureux habitants de la Saintonge, du Bordelais et de la Gascogne, plus sensibles encore que d'autres aux effets si désirables d'une paix bienfaisante. Le commerce de ces pays maritimes en souffrait énormément. La situation y était telle que, déjà en janvier 1469, Louis XI avait cru devoir prendre des mesures énergiques pour y porter remède, et charger Antoine de Chabannes, avec pleins pouvoirs, de se livrer à une enquête minutieuse, tant à Bordeaux qu'à Toulouse et partout ailleurs où il serait nécessaire, sur tous les faits de violence, d'oppression et de rébellion qui lui seraient signalés, avec mission de punir les délinquants et de faire cesser à tout prix ce scandale '.

A un tel moment, un nouveau maître devait être bien accueilli. Un chroniqueur local, tardif il est vrai, mais non suspect, semble bien exprimer l'opinion des Bordelais, lorsqu'il affirme que ses compatriotes envisagèrent favorablement l'avenir qui s'offrait alors à eux. Le roi n'est-il pas souverain absolu?

1. Lettres patentes données aux Montils-lez-Tours le 26 janvier 1469 (Archives nationales, JJ 196, fo 123); publ. dans les Preuves de l'Histoire de la maison de Chabannes, par le comte H. de Chabannes, t. II (1893), p. 176, et dans l'édition du Journal de Jean de Roye, par B. de Mandrot, II (1896), p. 226.

p.

2. Chronique bordeloise, de Jean de Gaufreteau, édit. Gaullieur, t. I (1876), 26: De quoy les Bourdelois ne se pleignirent point, car ils désiroyent tousjours d'avoir un prince particulier et un duc plustost qu'un roy de France, attendu qu'ils croyoient que, s'ils avoyent un duc, ils se pourroyent mieux maintenir en leurs libertés et franchises que soubs la domination d'un roy tout puissant, et ce dans la considération que, si le duc les oppressoit, ils auroyent tousjours la voye de plainte devant son souverain, qui estoit le Roy, et par ainsin, cela le fairoit tenir en debvoir, et le contraindroit de s'accomoder avec ses subjects, de peur de courre fortune d'estre despouillé, ainsin qu'avoit esté le roy d'Angleterre pour un mesme subjet ".

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