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Antoine de Chabannes. Le comte de Charolais se joignit à eux'.

De son côté, Louis XI, déjà vivement froissé d'avoir vu son frère attiré dans le camp de ses ennemis, entre dans une violente fureur en apprenant en outre que des bruits sensationnels se répandent dans tout le royaume on l'accuse de vouloir emprisonner son jeune frère et attenter à sa personne 2, ne fût-ce que pour poser ce frère en victime et apitoyer sur son sort. Impatient d'y répondre, le roi croit pouvoir entraver le mouvement insurrectionnel en agitant le spectre de la guerre étrangère Bretagne et Bourgogne n'ont évidemment qu'un mot à dire pour appeler l'armée anglaise à leur service; en évoquant le souvenir de l'époque néfaste où le territoire français subissait l'humiliation de l'occupation ennemie, il espère raviver le patriotisme de ses sujets.

Par une suprême habileté, les confédérés vont chercher à demeurer dans l'ombre, et à mettre le duc de Berry seul en avant. De cette façon la colère royale ne s'exercera peut-être que contre son frère, s'il l'ose. Mais Louis XI ne fut pas dupe. Les princes demandaient un plus grand apanage que le Berry pour Charles de France, prétendaient forcer le roi à prendre leurs avis sur toutes les questions irritantes, et obtenir qu'il restituât terres et offices à ceux qui, ayant encouru sa disgrâce, s'en trouvaient privés.

Charles avait dix-huit ans. On l'a dépeint naturellement généreux et bienveillant, mais faible, ambitieux, peu intelli

1. Chastellain, édition Kervyn de Lettenhove, t. V, p. 182.

2. Ordonnances des rois de France, t. XVI, p. 308 « non ayant iceulx seducteurs consideracion aux choses dessus dictes ne aux maulx et inconveniens qui peuvent advenir par leur mauvaise et dampnée conspiration, ont induit, seduit et suborné nostre frere de Berry, jeune d'aage, et non considerant la mauvaise entencion de ceulx qui ces trahisons, rebellions, machinations et conspirations conduisent à soy separer d'avec nous, et par leur faulx donné à entendre soubz umbre et couleur de luy et de plusieurs mensonges controvés pour l'atraire et faire joindre avec eux, et esmouvoir le peuple à l'encontre de nous et à soy separer de nostre obeyssance, ont fait dire, semer et publier par diverses parties de cedict royaume qu'on vouloit emprisonner nostre dict frere et actempter à sa personne, ce que onques ne pensasmes; et quant eussions sceu aucun qui ung si dampnable cas eust voulu perpetrer, nous en eussions fait faire telle punicion que ce eust esté exemple à tous les autres; ainçois pensions et entendions que nostre dict frere fust si content de nous, et nous en tenions si assurez que possible estoit, et luy mesme de sa bouche le nous avoit ainsi dit et affermé avec tant de belles et honnestes parolles qu'il estoit vraisemblable que ainsy estoit... >>

gent, mécontent d'un frère aîné qui le traitait d'enfant frivole et indocile. Faible, il l'était par-dessus tout; ambitieux, il allait peut-être le devenir, grisé par les évènements, par le rôle qu'on lui fit jouer, par les perfides insinuations de son entourage. Qui oserait se flatter d'avoir, à sa place et en pareille occurrence, cherché à remonter le courant au lieu de se laisser emporter par lui? Gageons qu'il y eut de sa part, au début tout au moins de la ligue ainsi formée, un défaut de claivoyance, un entraînement dont ses confédérés seuls entrevoyaient le résultat possible et qu'il se prit à regretter plus d'une fois, dans les années qui suivirent. D'ailleurs, est-ce donc l'unique exemple d'un frère de roi entrant ouvertement dans un complot destiné à bouleversér un état de choses existant, jugé mauvais ? L'histoire est pleine de ces situations équivoques et déplorables pour la sûreté des gouvernements.

On a convoqué à une grande réunion, qui doit se tenir le jour de la Saint-Valentin (14 février), chevaliers et seigneurs << vaillants à la guerre et désireux de faire chose louable », et aussi tous adhérents qui accepteront de se dévouer corps et âme à la coalition; une vaste conspiration se prépare, qui comprendra des personnages puissants, et dont le programme facile d'ailleurs à découvrir, nous est fourni par le poète breton Meschinot 2, ennemi déclaré de Louis XI:

Honneur a fait dresser sa belle table

Et veult donner un disner très notable ;
Rendez vous y, chevaliers sans reprouche,
Tous escuyers de lignée honorable
Qui desirez faire chose louable
Et verité garder en cueur et bouche.
Venez aussi, l'heure je vous assigne,

D'huy en huit jours, la feste Valentine,

Mais nul de vous, tant qu'il doubte mesprendre,
Ne vienne là pour refection querre

1. A. Dupuy, ouvrage cité, t. I, p. 103.

On lit dans le chroniqueur

Jacques Du Clercq, (édition Buchon, t. XXXIX, p. 393): « Charles, duc de Berry..., que le roy Loys son frere tenoit avecq lui assez simplement et peu d'estat, ne lui hailliant si grand estat qu'il avoit accoustumé tenir durant que le feu roy son pere vivoit ».

2. Ballade XVII (édition de 1522); cf, Bibliothèque de l'École des Char

tes, 1895,

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CHARLES DE GUYENNE

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S'il n'est loyal et vaillant à la guerre.
Car ce seroit pire que sang espendre.
Soit que ce fut duc, conte ou connestable
S'il est trouvé lasche et non véritable.
Raison ne veult qu'à ce convy approuche;
Et qui se sent meschant et detestable
Devroit trop mieux choisir estre à l'estable
Que soy trouver es lieux où honneur couche.

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L'année 1465 va être décisive. Pour essayer de se concilier le duc de Berry dont il prévoit les funestes desseins, Louis XI, prévenu par le maréchal de Comminges de la nécessité de jeter du lest, augmente sa pension de 6000 livres par an puis lui fait d'alléchantes promesses 2 essaie par doulceur et bons moyens » de le ramener à de plus saines idées, et en même temps surveille ses agissements d'aussi près que possible. Mais son habileté se trouve parfois déjouée. Nous les voyons partir ensemble pour Poitiers 3, d'où ils ont le projet de se rendre au pèlerinage de Notre-Dame du Pont, en Limousin. A Poitiers 5 ils reçoivent une ambassade bretonne, conduite par le chancelier Guillaume Chauvin et Odet d'Aydie 7: ces envoyés ont pour mission de formuler des propositions pacifiques et d'endormir les susceptibilités du roi de France, d'assurer même que le duc de Bretagne est disposé à venir faire sa soumission (à Tours ou ailleurs) et s'expliquer, à condition qu'on lui envoie le maréchal de Comminges et l'amiral de Montauban 8, chargés de l'accompagner. Un sauf-conduit lui est aussitôt

1. Lettres de Louis XI, édition Vaesen, t. II, p. 231.

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2. «Nous luy ferions et baillerions tel partage qu'il en deveroit estre bien content » (Idem, t. II, p. 232); cf. t. X, p. 224.

3. Ils y arrivent le 15 février.

4. A Saint-Junien (Haute-Vienne).

5. Charles de France est logé chez l'échevin Denis Dausseurre (Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest, 2a série, t. XX, 1897, p. 427). 6. Documents historiques inédits (Champollion-Figeac), t. II, p. 195.

7. Ancien bailli royal de Cotentin (Bibliothèque nationale, ms. Clairambault, vol. 782, fo 167), il est qualifié par un chroniqueur de «tres hardi chevalier et bien saige; et s'est meue peu de pratique en France de quoy il ne se soit meslé» (Journal de Jean de Roye, interpolations de Jean Le Clerc, édition de Mandrot, t, II, p. 163).

8. Thomas Basin, t, II, p. 19-21, fait un triste portrait de ce personnage, d'insatiable cupidité et de mauvais renom.

:

adressé (2 mars), pour lui et pour son escorte; Louis XI profite de la présence d'Odet d'Aydie pour essayer de l'attirer à lui il était coutumier du fait ; et tout d'abord la séduction paraît faire son œuvre, le fin gascon se déclare prêt à accepter les avances royales, les questions qui l'ont amené semblent définitivement réglées, et les négociations tournent en apparence tout à l'avantage du roi. Mais à rusé, rusé et demi. L'ambassadeur du duc de Bretagne a joué double jeu, et le plus soupçonneux des monarques est pris à son propre piège.

Tandis que Louis XI va poursuivre vers le pèlerinage convenu son voyage, Charles de France demeure à Poitiers en prétextant une partie de chasse. En même temps l'ambassade bretonne a quitté la ville, le 3 mars, sous couleur de retourner à Nantes, mais en réalité n'a pas fait plus de quatre lieues. Le 4, une demi-heure à peine s'est écoulée depuis le départ du cortège royal que, suivant des dispositions antérieurement prises, auxquelles Dammartin et Dunois ne furent pas complètement étrangers 2, Charles de Berry rejoint Odet d'Aydie en toute hâte, et se rend avec lui en Bretagne où François II les attendait impatiemment 3. Cette équipée s'effectua si rapidement que le roi de France, ne se doutant nullement du complot, en fut informé trop tard pour pouvoir s'y opposer, et en demeura littéralement ébahi. Le gouverneur de Poitiers luimême ne s'inquiéta qu'au bout de vingt-quatre heures de l'absence du jeune prince.

On juge de la fureur du roi, qui accusa immédiatement de complicité l'échevin chez qui logeait Charles de France, ainsi que Jean Chèvredent, procureur en Poitou 5. On devine d'au

1. Dom Morice, Preuves, t, III, col. 92.

2. Dunois fut puni par la main mise du roi sur Beaugency (Archives nationales, R 461, fo 54 vo; Pièce justificative no II.

164; p.

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Olivier

3. Jean de Roye, Journal, édition de Mandrot, t. II, de La Marche, Mémoires, édition Beaune et d'Arbaumont, t. III, p. 7 ; Th. Basin, Histoire, édition Quicherat, t. II p. 98; - Lettres de Louis XI, édition Vaesen, t. II, p. 232.

4. Lettres de Louis XI, t. II, p. 235.

5. J. Bouchet, Les Annales d'Aquitaine (1644, in-folio), p. 267. Dixhuit mois après, il ordonna de les faire arrêter; Denis Dausseurre, vieux et malade, mourut presque aussitôt (novembre 1466); quant à Chèvredent,

tre part quelle joie cet évènement procura aux coalisés. La nouvelle se répandit dans tout le royaume comme une trainée de poudre ; on disait déjà que le duc de Berry avait été proclamé « régent de France » 2. Dès le 6 mars, Louis XI adresse

après avoir obtenu grâce, il fit partie de la commission nommée par le roi pour la réforme du royaume (août 1466), mais fut de nouveau inquiété plus tard (novembre 1468); cf. Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest cités et Archives historiques du Poitou, t. XXXV, p. 218 et suivantes.

1. « Audita relatione notabili per magistrum Johannem de Becco, thesaurarium, de litteris regis in domo ville [receptis] super recessu domini ducis Bituricensis et regno, ejus relationem audiverunt, et gratias egerunt domini capitulantes » (Archives départementales de la Seine-Inférieure, G 2136). «Subsequenter dominus noster rex Ludovicus, filius Karoli regis Francorum, de civitate Turonis aripuit iter suum pro visitando limina Beate Marie Pontis Sancti Juliani, et dimisit dominum germanum suum ducem Bituricensem in dicta civitate, credendo quod non recederet ab eadem donec reversus fuisset in eadem civitate; in qua credulitate fuit deceptus, quia dictus dominus dux Bituricensis accessit deversus ducem Britanie: de qua accessione et recessu dominus noster rex fuit valde contristatus, et totum regnum in maxima tribulatione positum » ( Archives municipales de Périgueux, BB 14, fo 20 vo). — La nouvelle était parvenue à Paris le 11 mars ; J. Maupoint nous en fait part dans son Journal (édit. Fagniez, p. 51) et il déclare n'en pas connaître la cause, mais il la devine.

2. «Nicolas Le Jaul, licencié en loix, lieutenant general de noble et puissant seigneur messire Loys, seigneur de Chantemerle et de La Clayette, chevalier, conseillier et chambellan de Monseigneur le duc de Bourgongne, bailli et juge royal de Mascon, à honnorable homme Huguenin Midot, receveur de Masconnois, salut. Nous vous mandons que des deniers de vostre recepte vous payez et delivrez à honnorable homme Olivier de Sagie, citoyen de Mascon, la somme de huit livres tournois pour ung voyaige par lui presentement fait, par nostre ordonnance et commandement, de Mascon à Dijon par devers Messieurs les president et autres gens du conseil et des comptes de mondit seigneur le duc, leur pourter de par nous noz lettres de creance, et aussi leur dire et exposer sa creance qu'il avoit de nous touchant les nouvelles qui presentement nous sont survenues, c'est assavoir que mondit seigneur le duc de Berry s'estoit retrahit en Bretagne et que l'on l'avoit fait comme l'on disoit regent de France, et autres choses touchans ceste matiere amplement contenus et escriptes es memoyres et instructions que sur ce lui avons baillées, et aussi pour savoir d'eulx comme nous nous devions conduire et gouverner en ceste partie. Lequel Olivier, qui pour ceste cause partit de ceste ville de Mascon le douzieme jour de ce present mois de mars, a sejourné en ladite ville de Dijon par ordonnance de mes dits sieurs jusques au dimenche ensuyvant XVII dudit moys, comme appert par les lettres closes de mesdits sieurs à nous sur ce envoyées par ledit Olivier, attachées à ces presentes, et par ainsi a vacqué audit voyaige tant en alant; sejournant que retournant par huit jours entiers à deux chevaulx, lesquelz huit jours, tant pour journées que despens, lui avons tauxé et tauxons à ladite somme de huit

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