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19 août. Les ducs de Berry et de Bretagne chevauchaient ensemble d'ordinaire, nous dit Commines 1, montés sur «< petites hacquenées, à aise, armez de petites brigandines fort legieres ». Tandis que le comte de Charolais, venu par une autre route, s'installait avec le duc de Calabre dans l'hôtel que les ducs de Bourgogne possédaient à Conflans 2, les ducs de Berry et de Bretagne vinrent loger, le premier au château de Beauté-sur-Marne 3, le second à Saint-Maur-des-Fossés *.

N'ayant pu s'opposer à cette marche de ses adversaires 5, Louis XI partit dans la direction de Rouen, non sans avoir tenté un dernier effort pour se concilier les Parisiens, en leur faisant annoncer à son de trompe, le 3 août, qu'il exemptait les bourgeois et habitants de toutes tailles et aides, et se réservait seulement pour lui la ferme de la vente des draps et des vins en gros, du bois, du bétail à pied fourchu et du poisson de mer. C'eût été parfait si les évènements n'avaient point fourni aux Parisiens un continuel sujet de craintes et si ce perpétuel état de guerre n'avait pas grandement nui au commerce. et au bien-être de la population dans toute la région. Aucune

1. Mémoires, édition de Mandrot, t. I, p. 55.

2. Canton de Charenton Seine). Sur cet hôtel, voir l'abbé Lebeuf, Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, nouvelle édition, t. II (1883), p. 366.

3. Canton de Nogent-sur-Marne (Seine), Ce château avait été construit dans une île de la Marne par le roi Charles V. Cf. Olivier de La Marche, Mémoires, édition Beaune et d'Arbaumont, t. II, p. 22.

4. Chef-lieu de canton (Seine). — Cf. J. Du Clercq, édition Buchon, p. 32. 5. Néanmoins il prend ses dispositions pour la lutte et envoie dans les provinces un mandement ordonnant de mobiliser les nobles ou vivant noblement, et de lever archers et arbalétriers (Charrier, Les jurades de Bergerac, t. I, 1892, p. 270).

6. Journal de Jean Maupoint, p. 59. Un peu plus tard (9 novembre), pour récompenser les Parisiens de leur zèle, il exempte les nobles et possesseurs de fiefs du service du ban et de l'arrière ban à condition qu'ils veilleront à la défense de la place (Ordonnances, t, XVI, p. 425).

7. Des malheurs du temps Guillaume Fichet, dans son traité « De consolatione luctus Parisiensis » (Bibliothèque nationale, ms. latin 16685, daté, au folio 56 vo et dernier, du 12 novembre 1466), paraphrasant la pensée du poète Virgile (Géorgiques, II, v. 458 et ss.), et citant d'autres auteurs anciens qui lui étaient familiers, se fait l'écho attristé en ces termes (fo 21 vo): «O infelicia tempora nostra! O fortunatos nimium (sua si bona norint) celicolas, quibus ipsa procul discordibus malis fundit celo felicem vitam sanc

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sécurité n'existait plus pour les personnes. Sous prétexte qu'elle avait favorisé le duc de Berry contre le roi, la femme d'un conseiller au Parlement (Jean Bérard)', qui était la propre fille du chancelier Pierre d'Oriole, fut arrêtée et chassée de Paris, tandis que son mari gagnait prudemment la Bretagne ; c'est du moins ce que raconte le chroniqueur Jean de Roye, mais la vérité paraît un peu différente, autant qu'on en peut juger par les termes des interrogatoires que Tristan l'Ermite et Jean Beson firent subir, à la Bastille, aux deux frères François et Gratien Mériaudeau, l'un clerc du greffe civil au Châtelet de Paris, âgé de 27 ans, l'autre notaire au Châtelet, âgé de 34 ans, tous deux emprisonnés avec Jean de Bourges, clerc et serviteur de Jean Bérard, pour avoir conspiré contre le roi 3.

Les réponses des frères Mériaudeau sont confuses, parfois contradictoires, les évènements politiques s'y mêlent à des affaires personnelles, et il est assez malaisé d'y discerner l'exacte vérité. Toutefois, comme le farouche Tristan l'Ermite, pour les obliger à avouer ce qu'ils avaient intérêt à cacher, leur appliqua à tous deux la question, pieds et poings liés, et les soumit à l'épreuve du feu, on est en droit d'admettre une certaine part d'authenticité à leur confession ainsi obtenue, à travers les réticences, les demi-aveux, les confrontations, les démentis, les paroles imprudentes péniblement prononcées. De ces longs interrogatoires il paraît résulter que, sous couleur d'aller visiter le père de Jean Bérard, malade sur son lit de mort à Tours, la femme du conseiller François Mériaudeau et d'autres personnes firent plusieurs fois le voyage de Paris en Touraine, et au-delà jusqu'à Thouars d'abord, puis jusqu'à

tissimavirtus. Ha! Secura quies et nescia fallere vita! Est ne celites quicquam fortasse in hisce preciosis calamitatibus nostris quod vos allicere possit ? Est forte nonnichil nostri meroris quo vestre delicie indigeant ? ».

1. Il devint plus tard premier président à Bordeanx.

2. Journal, t. I, p. 81.

3. Bibliothèque nationale, ms. français 19229, ff. 84-102. Pièce justificative no VI. Cf. Journal, t. I, p. 73 s.

4. Une affaire de greffes, entre autres.

5. Carré de Busserolle, Armorial général de la Touraine (1866), p. 130.

6. Chef-lieu de canton, arrondissement de Bressuire (Deux-Sèvres).

Mouliherne

et Argenton 2, notamment dans l'été (fin juin) de 1465, et furent mis en communication avec le duc de Berry, alors sur les frontières de l'Anjou, lui apportant des nouvelles précises de l'arrivée de l'armée bourguignonne aux confins de l'Ile-de-France. Ainsi de fréquents conciliabules secrets avaient eu lieu, auxquels furent mêlés Étienne Chevalier 3, d'Oriole, la femme du trésorier Pierre Morin, Jean Prévost, ancien serviteur d'Étienne Chevalier et ancien clerc de la chambre criminelle du Châtelet, et Jaquet, valet de chambre du duc de Berry après avoir été au service du même Étienne Chevalier; on y avait examiné la situation politique, on y avait pesé les chances des deux partis, et l'on avait prononcé le nom de Poncet de Rivière et d'au

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1. Canton de Longué, arrondissement de Baugé (Maine-et-Loire). 2. Canton de Bierné, arrondissement de Château-Gontier (Mayenne). 3. Le trésorier de France bien connu, que le roi avait envoyé en ambassade en Bourgogne, en 1463 (Commines, édition Lenglet-Dufresnoy, t. II, p. 392), et qui figure à titre de témoin dans des lettres du roi du 16 mars 1465 (Idem, p. 436). D'autre part, il est à Tours avec Charles de France le 22 octobre 1461, et son nom est mentionné dans l'expédition d'une lettre de ce prince : « Par monseigneur le duc, le sire de Chissé, chevalier, maistre Estienne Chevalier, et autres, présens » (Archives nationales, P 13, n 316).

4. Seigneur de Châteaularcher en Poitou, que nous retrouvons plus tard chargé de diverses missions et ambassades, Poncet de Rivière fut, au dire de Guillaume Leseur (édition Henri Courteault) « bon chief de guerre, grant homme et puissant et de sa personne courageux et vaillant » ; il fit partie des expéditions de Liège (1461), de Catalogne (1462), et commanda les archers royaux à Montlhéry. Bailli de Montferrand et d'Usson (Bibliothèque nationale, mss. français 26089, no 393, et 26090, no 485, Archives municipales de Clermont-Ferrand, CC 5), il abandonna le service de Louis XI en avril 1468, s'en fit un ennemi acharné, et fut soupçonné plus tard, avec Ythier Marchant, d'une tentative d'empoisonnement contre le roi, qui lui avait accordé son pardon en août 1470; cf. Commines, édition de Mandrot, t. I, p. 30, Lettres de Louis XI, édit. Vaesen, t. II, p. 306, et Paul Guérin dans les Archives historiques du Poitou, t. XXXVIII, p. 264. — Il avait assisté au sacre de Louis XI à Reims, le 14 août 1468, armé de pied en cap, accompagné de quatre pages (Fragment de chronique de Louis XI, publ. par A. Coulon dans les Mélanges de l'École française de Rome, 1895, p. 118). Louis XI ordonna plus tard de faire démolir les châteaux du Bourg et de Châteauneuf, pour punir Poncet de Rivière d'avoir suivi le parti de ses ennemis (Bibliothèque nationale, ms. français 5725, fo 43 vo). Ce personnage figure encore en 1481 dans le compte ducal. de Bretagne, comme jouissant d'une pension de 2000 livres (Annales de Bretagne, t. V, 1889-90, p. 302), en compagnie de Pierre d'Urfé, Perrot d'Aydie, Bertrand du Parc, dont les noms reviennent plus d'une fois au cours de cette étude.

tres personnages de l'entourage du roi qui étaient jugés susceptibles de pouvoir le trahir. Revenant un jour du château d'Argenton, François Mériaudeau avait été arrêté à plusieurs reprises, notamment à Mouliherne, par les gens de guerre bretons qui étaient avec le duc de Berry en route pour Vendôme. Questionné sur le point de savoir s'il n'a pas dit ou entendu dire que les confédérés se proposaient d'occuper Paris, de faire couronner le duc de Berry à Reims, de faire prisonnier le roi auquel on assurerait 4000 francs de pension annuelle, sans lui vouloir aucun mal, Mériaudeau nie évidemment; mais que valent ses dénégations?

Ce qui est sûr, car la preuve paraît en être surabondamment faite, c'est que des préparatifs réels devaient assurer l'entrée des confédérés à Paris par la poterne du Palais « appelée Galilée »1, grâce à la complicité des clercs du Parlement et du Châtelet, et à la connivence d'un certain Regnault, naguère sorti de prison, fils d'un commerçant de la rue de la Harpe, à l'enseigne des «Deux Cygnes ». Après un voyage accompli à Nantes vers Charles de France, du commandement de son maître Jean Bérard, Jean de Bourges avait été chargé par la femme dudit Bérard d'aller trouver à Lagny l'officier concierge du Palais, le sire de Haubourdin, pour le mettre au courant de ces fameux préparatifs. Regnault, un soir, s'en était allé au logis de Gratien Mériaudeau chercher la clef de la poterne du Palais << qui respond sur la riviere »; un autre individu, du nom de Laillier, avait reçu mission de porter au duc de Berry une chanson 3. «Que contenait cette chanson ? » demande Tristan L'Ermite. — « Je ne me le rappelle pas très bien », déclare Mériaudeau. — « A qui faisaient allusion des lettres adres

1. Cf. Henri Stein, Le Palais de Justice et la Sainte-Chapelle de Paris (1912), p. 10. Cet épisode, que nul historien n'a rapporté, manque à notre monographie.

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2. Jean, dit Hannequin de Luxembourg, cousin du connétable de SaintPol; cf. Commines, édition de Mandrot, t. I, p. 14. La conciergerie du Palais lui fut enlevée en raison de son attitude de rebelle (2 juin 1465) et attribuée à Guillaume Cousinot (Bibliothèque nationale, coll. Fontanieu, vol. 130, fo 210)

3. Cf. E. de Méuorval, Paris depuis ses origines jusqu'à nos jours (Paris, 1892, in-8), t. II, p. 209,

sées par la femme de Pierre Morin à des personnages de l'entourage de Charles de France ? » ajoute Tristan L'Ermite. « Je ne m'en souviens pas », réplique Mériaudeau. Pressé de questions, se sentant perdu, l'inculpé offre de divulguer à Louis XI seul les noms de ceux qui, au courant des secrets du roi, les révèlent au duc de Berry; mais les commissaires exigent que ces noms leur soient communiqués tout d'abord et ne réussissent pas à les obtenir.

Son frère Gratien, qui a été blessé d'un coup de pied de cheval, s'est plus rarement déplacé, mais des conversations suspectes avec Simon Belin lui valent d'être aussi serré de très près par les interrogateurs : D'après lui, les opinions sont partagées, les uns affirmant que le duc de Berry n'arrivera jamais à ses fins, s'étant lancé dans une folle entreprise; les autres disant que tous ces évènements vont se terminer par un accord définitif entre le roi et Charles de France. Mais le nombre des mécontents est si grand qu'il y a réel danger pour l'autorité royale dont le succès paraît douteux, car « il est un chief sans membres ». Il déclare aussi que, le jour où l'on apprit à Paris, à l'hôtel de ville, l'accord conclu entre le roi et le duc de Bourbon, on crut à une « droicte joncherie » et l'on pensa qu'il «< y a dangier qu'on ne l'amuse par delà ». Mais que signifient donc ces mots : « Les besognes se portent bien », que prononça un jour la femme de Jean Bérard en apportant à Mériaudeau une lettre qu'elle venait de recevoir, et où il était question de l'arrivée aux Ponts-de-Cé des ducs de Berry et de Bretagne, de Dunois et du maréchal de Lohéac? Il n'est point malaisé de le deviner. Quel sens aussi attribuer aux paroles que le mari lui-même prononça, alors qu'il s'agissait d'une question de greffes qui le préoccupait : « Vecy le temps que justice regnera se Dieu plaist » ? N'y avait-il pas là des sous-entendus mal déguisés ? Sans nul doute partisan de Charles de France, Gratien Mériaudeau affirme que, dans les lettres suspectes dont il a pu avoir connaissance, rien ne lui a paru être de conséquence, et, s'il y avait vu malice, il les aurait retenues; mais quelle confiance méritent de telles dispositions d'esprit ? Il fait allusion à l'incertitude dans laquelle vivaient les Parisiens et à l'émotion survenue lorsqu'on publia à Paris la déclaration royale

CHARLES DE GUYENNE

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