Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

grecs d'ancien style. Quelques minutes après, notre maasch donna sur un banc de sable et fut arrêté tout court; nos matelots se jetèrent au Nil pour le dégager, en se servant du nom d'Allah, et bien plus efficacement de leurs larges et robustes épaules; la plupart de ces mariniers sont des hercules admirablement taillés, d'une force étonnante, et ressemblant à des statues de bronze nouvellement coulées, quand ils sortent du fleuve. Ce travail d'une demie heure suffit pour dégager le bâtiment. Nous passâmes devant Embabéh, et après avoir salué le champ de bataille des Pyramides, nous abordâmes au port de Boulaq, à 5 heures précises. La journée du 20 se passa en préparatifs de départ pour le Caire, et plusieurs convois d'ânes et de chameaux transportèrent en ville nos lits, malles et effets, pour meubler la maison que j'avais fait louer d'avance. A 5 heures du soir, suivi de ma caravane, et enfourchant nos ânes, bien plus beaux que ceux d'Alexandrie, je partis pour le Caire. Le Janissaire du Consulat ouvrait la marche, le drogman était avec moi, et toute la jeunesse paradait à ma suite : je m'aperçus que cela ne déplaisait nullement aux Arabes, qui criaient Fransaouï (français) avec une certaine satisfaction.

Nous arrivions au Caire au bon moment; ce jour là et le lendemain étaient ceux de la fête que les Musulmans célébraieut pour la naissance du Prophète. La grande et imposante place d'Ezbékiéh, dont l'inondation occupe le milieu, était couverte de monde entourant les baladins, les danseuses, les chanteuses, et de très-belles tentes sous lesquelles on pratiquait des actes de dévotion. Ici, des Musulmans assis lisaient en cadence des chapitres du Coran; là, 300 dévots, rangés en lignes parallèles, assis, mouvant incessamment le haut de leur corps en avant et en arrière comme des poupées à charnière, chantaient en chœur, La-Allah-Ell' Allah (il n'y a point d'autre Dieu que Dieu); plus loin, 500 énergumènes, debout, rangés circulairement, et se sentant les coudes, sautaient en cadence, et poussaient, du fond de leur poitrine épuisée, le nom d'Allah, mille fois répété, mais d'un ton si sourd, si caverneux, que je n'ai entendu de ma vie un chœur plus infernal : cet effroyable bourdonnement semblait sortir des profondeurs du Tartare. A côté de ces religieuses démonstrations, circulaient les musiciens et les filles de joie; des jeux de bagues, des escarpolettes de tout genre étaient en

pleine activité ce mêlange de jeux profanes et de pratiques religieuses, joint à l'étrangeté des figures et à l'extrême variété des costumes, formait un spectacle infiniment curieux, et que je n'oublierai jamais. En quittant la place nous traversâmes une partie de la ville pour gagner notre logement.

[ocr errors]

On a dit beaucoup de mal du Caire pour moi, je m'y trouve fort bien, et ces rues de 8 à 10 pieds de largeur, si décriées, me paraissent parfaitement bien calculées pour éviter les trop grandes chaleurs. Sans être pavées, elles sont d'une propreté fort remarquable. Le Caire est une ville tout-à-fait monumentale: la plus grande partie des maisons est en pierre, et à chaque instant on y remarque des portes sculptées dans le goût arabe: une multitude de mosquées, plus élégantes les unes que les autres, couvertes d'arabesques du meilleur goût, et ornées de minarets admirables de richesse et de grace, donnent à cette capitale un aspect imposant et très-varié. Je l'ai parcourue dans tous les sens, et je découvre chaque jour de nouveaux édifices que je n'avais pas encore soupçonnés. Grâces à la dynastie des Thouloumides, aux califes Fathimites, aux sultans Ayoubites, et aux mamlouks Baharites, le Caire est encore une ville des mille et une nuits, quoique la barbarie ait détruit ou laissé détruire en très-grande partie les délicieux produits des arts et de la civilisation arabes. J'ai fait mes premières dévotions dans la mosquée de Thouloum, édifice du 9° siècle, modèle d'élégance et de grandeur, que je ne puis assez admirer, quoique à moitié ruiné. Pendant que j'en considérais la porte, un vieux schéïk me fit proposer d'entrer dans la mosquée : j'acceptai avec empressement, et, franchissant lestement la première porte, on m'arrêta tout court à la seconde : il fallait entrer dans le lieu saint sans chaussure; j'avais des bottes, mais j'étais sans bas; la difficulté était pressante. Je quitte mes bottes, j'emprunte un mouchoir à mon janissaire pour envelopper mon pied droit, un autre mouchoir à mon domestique Nubien Mohammed, pour mon pied gauche, et me voilà sur le parquet en marbre de l'enceinte sacrée ; c'est sans contredit le plus beau monument arabe qui reste en Égypte. La délicatesse des sculptures est incroyable, et cette suite de portiques en arcades est d'un effet charmant. Je ne parlerai ici ni des autres mosquées, ni des tombeaux des califes et des sultans mamlouks, qui

forment autour du Caire une seconde ville plus magnifique encore que la première; cela me ménerait trop loin, et c'en est assez de la vieille Égypte, sans m'occuper de la nouvelle.

Lundi 22 septembre, je montai à la citadelle du Caire, pour rendre visite à Habid-Effendi, gouverneur, et l'un des hommes les plus estimés par le vice-roi. Il me reçut fort agréablement, causa beaucoup avec moi sur les monumens de la Haute-Égypte, et me donna quelques conseils pour les étudier plus à l'aise. En sortant de chez le gouverneur, je parcourus la citadelle, et je trouvai d'abord des blocs énormes de grès, portant un bas-relief, où est figuré le roi Psammétichus II, faisant la dédicace d'un propylon je l'ai fait copier avec soin. D'autres blocs épars, et qui ont appartenu au même monument de Memphis d'où ces pierres ont été apportées, m'ont offert une particularité fort curieuse. Chacune de ces pierres, parfaitement dressées et taillées, porte une marque constatant sous quel roi le bloc a été tiré de la carrière; la légende royale, accompagnée d'un titre qui fait connaître la destination du bloc pour Memphis, est gravée dans une aire carrée et creuse. J'ai recueilli sur divers blocs les marques de trois rois : Psammétichus II, Apriés, son fils, et Amasis, successeur de ce dernier : ces trois légendes nous donnent donc la durée de la construction de l'édifice dont ces blocs faisaient partie. Un peu plus loin, sont les ruines du palais royal du fameux Salahh-Eddin (le sultan Saladin), le chef de la dynastie des Ayoubites; un incendie a dévoré les toits, il y a 4 ans, et depuis quelques mois, on démolit par fois ce qui reste de ce grand et beau monument : j'ai pu reconnaître une salle carrée, la principale du palais. Plus de 30 colonnes de granit rose portant encore les traces de la dorure épaisse qui couvrait leur fût, sont debout, et leurs énormes chapiteaux de sculpture arabe, imitation grossière de vieux chapitaux égyptiens, sont entassés sur les décombres. Ces chapitaux, que les Arabes avaient ajoutés à ces colonnes grecques ou romaines, sont tirés de blocs de granit enlevés aux ruines de Memphis, et la plupart portent encore des traces de sculptures hiéroglyphiques : j'ai même trouvé sur l'un d'entre eux, à la partie qui joignait le fût à la colonne, nn bas-relief représentant le roi Nectanèèbe, faisant une offrande aux dieux. Dans une de mes courses à la citadelle, où je suis allé plusieurs fois pour faire dessiner les débris égyptiers, j'ai visité le fameux puits de Joseph, c. à d, le puits que

le grand Saladin (Salahh-Eddin - Joussouf) a fait creuser dans la citadelle non loin de son palais; c'est un grand ouvrage. J'ai vu aussi la ménagerie du pacha, consistant en un lion, deux tigres et un éléphant; je suis arrivé trop tard pour voir l'hippopotame vivant; la pauvre bête venait de mourir d'un coup de soleil, pris en faisant sa siesta sans précaution; mais j'en ai vu la peau empaillée à la turque, et pendue au-dessus de la porte principale de la citadelle. J'ai visité avant hier Mahammed-Bey, delfterdar (trésorier) du pacha. Il m'a fait montrer la maison qu'il construit à Boulaq sur le Nil, et dans les murailles de laquelle il a fait encastrer, comme ornement, d'assez beaux bas-reliefs égyptiens, venant de Sakkara; c'est un pas fort remarquable, fait par un des ministres du pacha, assez renommé pour son opposition à la réforme.

J'ai trouvé ici notre agent cónsulaire, M. Derche, malade, et, parmi les étrangers, lord Prudhoe, M. Burton et le major Félix, Anglais qui s'occupent beaucoup d'hieroglyphes, et qui me comblent de bontés. Je n'ai encore fait aucune acquisition : je présume que notre arrivée a fait hausser le prix des antiquités; mais cela ne peut durer long-temps. Je pars demain ou après pour Memphis; je ne reviendrai pas au Caire cette année; nous débarquerons près de Mit-Rahiné, (le centre des ruines de la vieille ville), où je m'établirai; je pousserai de là des reconnaissances sur Sakkara, Dahschour et toute la plaine de Memphis, jusqu'aux grandes pyramides de Gizéh, d'où j'espère dater ma prochaine lettre. Après avoir couru le sol de la seconde capitale égyptienne, je mets le cap sur Thèbes, où je serai vers la fin d'octobre, après m'être arrêté quelques heures à Abydos et à Dendéra. Ma santé est toujours excellente et meilleure qu'en Europe; il est vrai que je suis un homme tout nouveau; ma tête rasée est couverte d'un énorme turban; je suis complétement habillé à la turque, une belle moustache couvre ma bouche, et un large cimeterre pend à mon côté : ce costume est trèschaud, et c'est justement ce qui convient en Égypte; on y sue à plaisir et l'on s'y porte de même. Les arabes me prennent partout pour un naturel; dans peu je pourrai joindre l'illusion de la parole à celle des habits; je débrouille mon arabe, et à force de jargonner, on ne me prendra plus pour un débutant. J'ai déjà recueilli des coquilles du Nil pour M. de Férussac...... J'attends impatiemment des lettres de Paris..... Adieu.

112. J. B. GAIL. Les lettres savantes viennent de faire
une perte réelle par la mort de M. Jean-Baptiste Gail, mem-
bre de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres, lec-
teur et professeur royal de langue grecque au Collège de France,
conservateur des manuscrits grecs à la Bibliothèque du Roi,
chevalier de la Légion-d'Honneur et de l'ordre de Saint-Vla-
dimir. Il est décédé à Paris, le 5 février 1829, après une mala-
die de près de deux mois. Il était âgé de 73 ans. Sa vie fut des
plus actives, des plus laborieuses; voué à la prospérité des
études grecques depuis sa jeunesse, il ne perdit jamais de vue
ce but de toute son existence : on lui doit à la fois de bons livres
élémentaires, de bonnes traductions et de savans commen-
taires. Sa mémoire sera l'objet de la vénération de ses nombreux
disciples.

TABLE

Histoire et critique des Mille et une Nuits...

Remarques critiques sur le Tome I de l'édition des Mille et une Nuits

de M. Habicht; Fleischer...

16.

Ib.

Ib.

[ocr errors]
« VorigeDoorgaan »