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proche? Ne voyoient-ils pas la France toute entière se défendant sur l'autre bord? N'éprouvoient-ils pas une insupportable douleur, en reconnoissant les airs nationaux, les accens de leur province, dans le camp qu'il falloit appeler ennemi? Combien d'entre eux ne se sont pas retournés tristement vers les Allemands, vers les Anglois, vers tant d'autres peuples qu'on leur ordonnoit de considérer comme leurs alliés! Ah! l'on ne peut transporter ses dieux pénates dans les foyers des étrangers. Les émigrés, lors même qu'ils faisoient la guerre à la France, ont souvent été fiers des victoires de leurs compatriotes. Ils étoient battus comme émigrés, mais ils triomphoient comme François, et la joie qu'ils en ressentoient étoit la noble inconséquence des cœurs généreux. Jacques II s'écrioit à la bataille de la Hogue, pendant la défaite de la flotte françoise, qui soutenoit sa propre cause contre l'Angleterre « Comme mes braves Anglois se bat» tent! » Et ce sentiment lui donnoit plus de droits au trône qu'aucun des argumens employés pour l'y maintenir. En effet, l'amour de la patrie est indestructible comme toutes les affections sur lesquelles nos premiers devoirs sont fondés. Souvent une longue absence ou

des querelles de parti ont brisé toutes vos relations; vous ne connoissez plus personne dans cette patrie qui est la vôtre : mais à son nom, mais à son aspect, tout votre cœur est ému ; et, loin qu'il faille combattre de telles impressions comme des chimères, elles doivent servir de guide à l'homme vertueux.

Plusieurs écrivains politiques ont accusé l'émigration de tous les maux arrivés à la France. Il n'est pas juste de s'en prendre aux erreurs d'un parti, des crimes de l'autre ; mais il paroît démontré néanmoins qu'une crise démocratique est devenue beaucoup plus probable, quand tous les hommes employés dans la monarchie ancienne, et qui pouvoient servir à recomposer la nouvelle, s'ils l'avoient voulu, ont abandonné leur pays. L'égalité s'offrant alors de toutes parts, les hommes passionnés se sont trop abandonnés au torrent démocratique; et le peuple, ne voyant plus la royauté que dans le roi, a cru qu'il suffisoit de renverser un homme pour fonder une république.

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Prédiction de M. Necker sur le sort de la constitution de 1791.

PENDANT les quatorze dernières années de sa vie, M. Necker ne s'est pas éloigné de sa terre de Coppet en Suisse. Il a vécu dans la retraite la plus absolue; mais le repos qui naît de la dignité n'exclut pas l'activité de l'esprit; aussi ne cessa-t-il point de suivre avec la plus grande sollicitude chaque événement qui se passoit en France; et les ouvrages qu'il a composés à différentes époques de la révolution, ont un caractère de prophétie; parce qu'en examinant les défauts des constitutions diverses qui ont régi momentanément la France, il annonçoit d'avance les conséquences de ces défauts, et ce genre de prédictions ne sauroit manquer de se réaliser.

M. Necker joignoit à l'étonnante sagacité de son esprit une sensibilité pour le sort de l'espèce humaine et de la France en particulier, dont il n'y a eu d'exemple, je crois, dans aucun publiciste. On traite d'ordinaire la politique

d'une manière abstraite, et en la fondant presque toujours sur le calcul; mais M. Necker s'est surtout occupé des rapports de cette science avec la morale individuelle, le bonheur et la dignité des nations. C'est le Fénélon de la politique, si j'ose m'exprimer ainsi, en honorant ces deux grands hommes par l'analogie de leurs

vertus.

Le premier ouvrage qu'il publia en 1791 est intitulé: De l'administration de M. Necker, par lui-même. A la suite d'une discussion politique très-approfondie sur les diverses compensations que l'on auroit dû accorder aux privilégiés pour la perte de leurs anciens droits, il dit, en s'adressant à l'assemblée : « Je l'entends; on me » reprochera mon attachement obstiné aux prin>>>cipes de la justice, et l'on essayera de le dépri>> mer en y donnant le nom de pitié aristocrati» que. Je sais mieux que vous, de quelle sorte est >> la mienne. C'est pour vous, les premiers, que » j'ai connu ce sentiment d'intérêt; mais alors >> vous étiez sans union et sans force; c'est pour » vous, les premiers, que j'ai combattu. Et dans >> le temps où je me plaignois si fortement de >> l'indifférence qu'on vous témoignoit, lorsque » je parlois des égards qui vous étoient dus; » lorsque je montrois une inquiétude conti

>>

>>nuelle sur le sort du peuple; c'étoit aussi par >> des jeux de mots qu'on cherchoit à ridiculiser >> mes sentimens. Je voudrois bien aimer d'au>>tres que vous, lorsque vous m'abandonnez; » je voudrois bien le pouvoir; mais je n'ai pas >> cette consolation; vos ennemis et les miens » ont mis, entre eux et moi, une barrière que » je ne chercherai jamais à rompre, et ils doi» vent me haïr toujours, puisqu'ils m'ont >> rendu responsable de leurs propres fautes. >> Ce n'est pas moi cependant qui les ai en» couragés à jouir sans mesure de leur an>> cienne puissance, et ce n'est pas moi qui les » ai rendus inflexibles, lorsqu'il falloit com» mencer à traiter avec la fortune. Ah! s'ils n'é>> toient pas dans l'oppression, s'ils n'étoient » pas malheureux, combien de reproches n'au» rois-je pas à leur faire! Aussi, quand je les dé>> fends encore dans leurs droits et leurs proprié»tés, ils ne croiront pas, je l'espère, que je » songe un instant à les regarder. Je ne veux » aujourd'hui ni d'eux ni de personne; c'est de » mes souvenirs, de mes pensées, que je cher>> che à vivre et mourir. Quand je fixe mon at>>tention sur la pureté des sentimens qui m'ont » guidé, je ne trouve nulle part une associa» tion qui me convienne ; et, dans le besoin ce

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