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mée se battoit toujours contre les étrangers avec la même énergie, et ses exploits avoient déjà obtenu une paix importante pour la France, le traité de Bâle avec la Prusse. Le peuple aussi, l'on doit le dire, supportoit des maux inouïs avec une persévérance étonnante; la disette d'une part, et la dépréciation du papier-monnoie de l'autre, réduisoient la dernière classe de la société à l'état le plus misérable. Si les rois de France avoient fait subir à leurs sujets la moitié de ces souffrances, on se seroit révolté de toutes parts. Mais la nation croyoit se dévouer à la patrie, et rien n'égale le courage inspiré par une telle conviction.

La Suède ayant reconnu la république françoise, M. de Staël résidoit à Paris comme ministre. J'y passai quelques mois pendant l'année 1795, et c'étoit vraiment alors un spectacle bien bizarre que la société de Paris. Chacun de nous sollicitoit le retour de quelques émigrés de ses amis. J'obtins à cette époque plusieurs rappels; en conséquence le député Legendre, homme presque du peuple, fit une dénonciation contre moi à la tribune de la convention. L'influence des femmes, l'ascendant de la bonne compagnie, ce qu'on appeloit vulgairement les salons dorés, sembloient très-redoutables à

ceux qui n'y étoient point admis, et dont on séduisoit les collègues en les y invitant. L'on voyoit, les jours de décade, car les dimanches n'existoient plus, tous les élémens de l'ancien et du nouveau régime réunis dans les soirées, mais non réconciliés. Les élégantes manières des personnes bien élevées perçoient à tra vers l'humble costume qu'elles gardoient encore comme au temps de la terreur. Les hommes convertis du parti jacobin entroient pour la première fois dans la société du grand monde, et leur amour-propre étoit plus ombrageux encore sur tout ce qui tient au bon ton qu'ils vouloient imiter, que sur aucun autre sujet, Les femmes de l'ancien régime les entouroient pour en obtenir la rentrée de leurs frères, de leurs fils, de leurs époux, et la flatterie gracieuse dont elles savoient se servir venoît frapper ces rudes oreilles, et disposoit les factieux les plus acerbes à ce que nous avons vu depuis, c'est-à-dire, à refaire une cour, à reprendre tous ges abus, mais en ayant grand soin de se les appliquer à eux-mêmes. ́·

Les apologies de ceux qui avoient pris pårt à la terreur étoient vraiment la plus incroyable école de sophisme à laquelle on pût assister. Les uns disoient qu'ils avoient été contraints à

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tout ce qu'ils avoient fait, et l'on auroit leur citer mille actions spontanément serviles ou sanguinaires. Les autres prétendoient qu'ils s'étoient sacrifiés au bien public, et l'on savoit qu'ils n'avoient songé qu'à se préserver du danger; tous rejetoient le mal sur quelques-uns; et, chose singulière dans un pays immortel par sa bravoure militaire, plusieurs des chefs politiques donnoient simplement la peur comme une excuse suffisante de leur conduite.

Un conventionnel très-connu me racontoit un jour, entre autres, qu'au moment où le tribunal révolutionnaire avoit été décrété, il avoit prévu tous les malheurs qui en sont résultés; « et cependant, ajoutoit-il, le décret <«< passa dans l'assemblée à l'unanimité. » Or, il assistoit lui-même à cette séance, votant pour ce qu'il regardoit comme l'établissement de l'assassinat juridique ; mais il ne lui venoit pas seulement dans l'esprit, en me racontant ce fait, que l'on pût s'attendre à sa résistance. Une telle naïveté de bassesse laisse ignorer jusqu'à la possibilité de la vertu.

Les jacobins qui avoient trempé personnellement dans les crimes de la terreur, tels que Lebon, Carrier, etc., se faisoient presque tous remarquer par le même genre de physionomie.

On les voyoit lire leur plaidoyer avec une figure pâle et nerveuse, allant d'un côté à l'autre de la tribune de la convention, comme un animal féroce dans sa cage; étoient-ils assis, ils se balançoient sans se lever ni changer de place, avec une sorte d'agitation stationnaire qui sembloit indiquer seulement l'impossibilité du repos.

Au milieu de ces élémens dépravés, il existoit un parti de républicains, débris de la Gironde, persécutés avec elle, sortant des prisons ou des cavernes qui leur avoient servi d'asile contre la mort. Ce parti méritoit de l'estime à beaucoup d'égards, mais il n'étoit pas guéri des systèmes démocratiques; et, de plus, il avoit un esprit soupçonneux qui lui faisoit voir partout des fauteurs de l'ancien régime. Louvet, l'un de ces girondins échappés à la proscription, l'auteur d'un roman, Faublas, que les étrangers prennent souvent pour la peinture des mœurs françoises, étoit républicain de bonne foi. Il ne se fioit à personne ; il appliquoit à la politique le genre de défaut qui a fait le malheur de la vie de JeanJacques; et plusieurs hommes de la même opinion lui ressembloient à cet égard. Mais les soupçons des républicains et des jacobins en France

tenoient d'abord à ce qu'ils ne pouvoient faire adopter leurs principes exagérés, et secondement à une certaine haine contre les nobles, dans laquelle il se mêloit de mauvais mouvemens. On avoit raison de ne pas vouloir de la noblesse en France, telle qu'elle existoit jadis; mais l'aversion contre les gentilshommes n'est qu'un sentiment subalterne qu'il faut savoir dominer pour organiser la France d'une manière stable.

L'on vit proposer cependant, en 1795, un plan de constitution républicaine, beaucoup plus raisonnable et mieux combiné que la monarchie décrétée par l'assemblée constituante en 1791. Boissy-d'Anglas, Daunou et Lanjuinais, noms qu'on retrouve toujours quand un rayon de liberté luit sur la France, étoient membres du comité de constitution. On osa proposer deux chambres sous le nom de conseil des anciens et de conseil des cinq cents; des conditions de propriété pour être éligible; deux degrés d'élection, ce qui n'est pas une bonne institution en soi-même, mais ce que les circonstances rendoient nécessaire alors, pour relever les choix; enfin un directoire composé de cinq personnes. Ce pouvoir exécutif p'avoit point encore l'autorité nécessaire

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