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décrets de recrutement qu'on obtenoit des législateurs, ces décrets avec lesquels on a depuis asservi le continent, portoient déjà des atteintes funestes au respect pour les institutions civiles. On ne peut s'empêcher de regretter qu'à cette époque les puissances encore en guerre avec la France, c'est-à-dire, l'Autriche et l'Angleterre, n'aient pas accédé à la paix. La Prusse, Venise, la Toscane, l'Espagne et la Suède avoient déjà traité, en 1795, avec un gouvernement beaucoup moins régulier que celui du directoire; et peut-être l'esprit d'envahissement qui a fait tant de mal aux peuples du continent comme aux François eux-mêmes, ne se seroit-il pas développé, si la guerre avoit cessé avant les conquêtes du général Bonaparte en Italie. Il étoit encore temps de tourner l'activité françoise vers les intérêts politiques et commerciaux. On n'avoit jusqu'alors considéré la guerre que comme un moyen d'assurer l'indépendance de la nation; l'armée ne se croyoit destinée qu'à maintenir la révolution; les militaires n'étoient point un ordre à part dans l'état; enfin il y avoit encore en France quelque enthousiasme désintéressé, sur lequel on pouvoit fonder le bien public.

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torité civile avec l'armée. On a beaucoup dit que la liberté, comme elle existe en Angleterre, n'est pas possible pour un état continental, à cause des troupes réglées, qui dépendent toujours du chef de l'état. Je répon drai ailleurs à ces craintes sur la durée de la liberté, toujours exprimées par ses ennemis, par ceux même qui ne veulent pas permettre qu'une tentative sincère en soit faite. Mais on ne sauroit trop s'étonner de la manière dont les armées ont été conduites par le directoire jusqu'au moment où, craignant le retour de l'ancienne royauté, il les a lui-même malheureusement introduites dans les révolutions intérieures de l'état.

Les meilleurs généraux de l'Europe obéissoient à cinq directeurs, dont trois n'étoient que des hommes de loi. L'amour de la patrie et de la liberté étoit encore assez puissant sur les soldats eux-mêmes, pour qu'ils respectassent la loi plus que leur général, si ce général vouloit se mettre au-dessus d'elle. Toutefois la prolongation indéfinie de la guerre a nécessairement mis un grand obstacle à l'établissement d'un gouvernement libre en France; car, d'une part, l'ambition des conquêtes commençoit à s'emparer de l'armée, et de l'autre, les

décrets de recrutement qu'on obtenoit des législateurs, ces décrets avec lesquels on a depuis asservi le continent, portoient déjà des atteintes funestes au respect pour les institutions civiles. On ne peut s'empêcher de regretter qu'à cette époque les puissances encore en guerre avec la France, c'est-à-dire, l'Autriche et l'Angleterre, n'aient pas accédé à la paix. La Prusse, Venise, la Toscane, l'Espagne et la Suède avoient déjà traité, en 1795, avec un gouvernement beaucoup moins régulier que celui du directoire; et peut-être l'esprit d'envahissement qui a fait tant de mal aux peuples du continent comme aux François eux-mêmes, ne se seroit-il pas développé, si la guerre avoit cessé avant les conquêtes du général Bonaparte en Italie. Il étoit encore temps de tourner l'activité françoise vers les intérêts politiques et commerciaux. On n'avoit jusqu'alors considéré la guerre que comme un moyen d'assurer l'indépendance de la nation; l'armée ne se croyoit destinée qu'à maintenir la révolution; les militaires n'étoient point un ordre à part dans l'état; enfin il y avoit encore en France quelque enthousiasme désintéressé, sur lequel on pouvoit fonder le bien public.

Depuis 1793 jusqu'au commencement de 1795, l'Angleterre et ses alliés se seroient déshonorés en traitant avec la France; qu'auroiton dit des augutes ambassadeurs d'une nation libre, revenant à Londres après avoir reçu l'accolade de Marat ou de Robespierre? Mais, quand une fois l'intention d'établir un gouvernement régulier se manifesta, il falloit ne rien négliger pour interrompre l'éducation guerrière des François.

L'Angleterre, en 1797, dix-huit mois après l'installation du directoire, envoya des négociateurs à Lille; mais les succès de l'arniée d'Italie avoient inspiré de l'arrogance aux chefs de la république; les directeurs étoient déjà vieux dans le pouvoir, et s'y croyoient affermis. Les gouvernemens qui commencent souhaitent tous la paix : il faut savoir profiter de cette circonstance avec habileté; en politique comme à la guerre, il y a des coups de temps qu'on doit se hâter de saisir. Mais l'opinion en Angleterre étoit exaltée par Burke, qui avoit acquis un grand ascendant sur ses compatriotes, en prédisant trop bien les malheurs de la révolution. Il écrivit, lors de la négociation de Lille, des lettres sur la paix régicide qui renouvelèrent l'indignation publique contre les François.

M. Pitt, cependant, avoit donné lui-même quelques éloges à la constitution de 1795; et d'ailleurs, si le système politique adopté par la France, quel qu'il fût, cessoit de compromettre la sûreté des autres pays, que pouvoit-on exiger de plus?

Les passions des émigrés, auxquelles le ministère anglois s'est toujours beaucoup trop abandonné, lui ont souvent fait commettre des erreurs dans le jugement des affaires de France. Il crut opérer une grande diversion en transportant les royalistes à Quiberon, et n'amena qu'une scène sanglante, dont tous les efforts les plus courageux de l'escadre angloise ne purent adoucir l'horreur. Les malheureux gentilshommes françois qui s'étoient vainement flattés de trouver en Bretagne un grand parti prêt à se lever pour eux, furent abandonnés en un instant. Le général Lemoine, commandant de l'armée françoise, m'a raconté avec admiration les tentatives réitérées des marins anglois pour s'approcher de la côte, et recevoir dans les chaloupes les émigrés cernés de toutes parts, et fuyant à la nage pour regagner les vaisseaux hospitaliers de l'Angleterre. Mais les ministres anglois, et M. Pitt à leur tête, en voulant toujours faire triompher en France le parti purement

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