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pandu le bruit qu'il avoit été guidé par les conseils d'un autre à la guerre ; je ne sais ce qui en étoit, mais cela pouvoit se croire, parce que son regard et son entretien étoient si ternes, qu'ils ne donnoient pas l'idée qu'il fût propre à devenir le chef d'aucune entreprise. Néanmoins son courage et sa persévérance politique ont, depuis, mérité l'intérêt autant que son malheur.

Quelques membres du conseil des anciens, ayant à leur tête l'intrépide et généreux vieillard Dupont de Nemours et le respectable BarbéMarbois, se rendirent à pied à la salle de leurs séances; et, après avoir constaté que la porte leur en étoit fermée, ils revinrent de même, passant au milieu des soldats alignés, sans que le peuple qui les regardoit comprît qu'il s'agissoit de ses représentans, opprimés par la force armée. La crainte de la contre-révolution avoit malheureusement désorganisé l'esprit public: on ne savoit où saisir la cause de la liberté entre ceux qui la déshonoroient et ceux qu'on accusoit de la haïr. On condamna les hommes les plus honorables, Barbé-Marbois, TronçonDucoudray, Camille Jordan, etc., à la déportation outre-mer. Des mesures atroces suivirent cette première violation de toute justice.

La dette publique fut réduite de deux tiers, et l'on appela cette opération, la mobiliser; tant les François sont habiles à trouver des mots qui semblent doux pour les actions les plus dures! Les prêtres et les nobles furent proscrits de nouveau avec une impitoyable barbarie. On abolit la liberté de la presse, car elle est inconciliable avec l'exercice du pouvoir arbitraire. L'invasion de la Suisse, le projet insensé d'une descente en Angleterre éloignèrent tout espoir de paix avec l'Europe. On évoqua l'esprit révolutionnaire, mais il reparut sans l'enthousiasme qui l'avoit jadis animé; et, comme l'autorité civile ne s'appuyoit point sur la justice, sur la magnanimité, enfin, sur aucune des grandes qualités qui doivent la caractériser, l'ardeur patriotique se tourna vers la gloire militaire, qui,, du moins alors, pouvoit satisfaire l'imagination.

CHAPITRE XXV. ·

Anecdotes particulières.

IL en coûte de parler de soi, dans une époque surtout où les récits les plus importans commandent seuls l'attention des lecteurs. Néanmoins, je ne puis me refuser à repousser une inculpation qui me blesse. Les journaux chargés, en 1797, d'insulter tous les amis de la liberté, ont prétendu que, voulant la république, j'approuvois la journée du 18 fructidor. Je n'aurois sûrement pas conseillé, si j'y avois été appelée, d'établir une république en France; mais, une fois qu'elle existoit, je n'étois pas d'avis qu'on dût la renverser. Legouvernement républicain, considéré abstraitement et sans application à un grand état, mérite le respect qu'il a de tout temps inspiré; et la révolution du 18 fructidor, au contraire, doit toujours faire horreur, et par les principes tyranniques dont elle partoit, et par les suites affreuses qui en ont été la conséquence nécessaire. Parmi les individus dont le directoire étoit composé, je ne connoissois que Barras; et, loin d'avoir

le moindre crédit sur les autres, quoiqu'ils ne pussent ignorer combien j'aimois la liberté, ils me savoient si mauvais gré de mon attachement pour les proscrits, qu'ils donnèrent l'ordre sur les frontières de la Suisse, à Versoix, près de Coppet, de m'arrêter et de me conduire en prison à Paris, à cause, disoient-ils, de mes efforts pour faire rentrer les émigrés. Barras me défendit avec chaleur et générosité ; et c'est lui qui m'obtint la permission de retourner en France quelque temps après. La reconnoissance que je lui devois entretint entre lui et moi des relations de société.

M. de Talleyrand étoit revenu d'Amérique un an avant le 18 fructidor. Les honnêtes gens en général désiroient la paix avec l'Europe, qui étoit alors disposée à traiter. Or, M. de Talleyrand paroissoit devoir être, ce qu'on l'a toujours trouvé depuis, un négociateur fort habile. Les amis de la liberté souhaitoient que le directoire s'affermit par des mesures constitutionnelles, et qu'il choisit dans ce but des ministres en état de soutenir le gouvernement. M. de Talleyrand sembloit alors le meilleur choix possible pour le département des affaires étrangères, puisqu'il vouloit bien l'accepter. Je le servis efficacement à cet égard,

en le faisant présenter à Barras par un de mes amis, et en le recommandant avec force. M. de Talleyrand avoit besoin qu'on l'aidat pour arriver au pouvoir; mais il se passoit ensuite très-bien des autres pour s'y maintenir. Sa nomination est la seule part que j'aie eue dans la crise qui a précédé le 18 fructidor, etje croyois ainsi la prévenir; car on pouvoit espérer que l'esprit de M. de Talleyrand amèneroit une conciliation entre les deux partis. Depuis, je n'ai pas eu le moindre rapport avec les diverses phases de sa carrière politique.

La proscription s'étendit de toutes parts après le 18 fructidor; et cette nation, qui avoit déjà perdu sous le règne de la terreur les hommes les plus respectables, se vit encore privée de ceux qui lui restoient. On fut au moment de proscrire Dupont de Nemours, le plus chevaleresque champion de la liberté qu'il y eût en France, mais qui ne pouvoit la reconnoître dans la dispersion des représentans du peuple par la force armée. J'appris le danger qu'il couroit, et j'envoyai chercher Chénier le poëte, qui, deux ans auparavant, avoit à ma prière prononcé le discours auquel M. de Talleyrand dut son rappel. Chénier, malgré tout ce qu'on peut reprocher à sa vie, étoit susceptible d'être

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