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sera libre. Je ne sais s'il entendoit, par les lois organiques de la liberté, l'établissement de son pouvoir absolu. Quoi qu'il en soit, Barras, alors son ami, et président du directoire, lui répondit, en le supposant de bonne foi dans tout ce qu'il venoit de dire; il finit par le charger spécialement de conquérir l'Angleterre, mission un peu difficile.

On chanta de toutes parts l'hymne qué Chénier avoit composé pour célébrer cette journée En voici le dernier couplet.

Contemplez nos lauriers civiques!

L'Italie a produit ces fertiles moissons;

Ceux-là croissent pour nous au milieu des glaçons;
Voici ceux de Fleurus, ceux des plaines belgiques.
Tous les fleuves surpris nous ont vus triomphans;
Tous les jours nous furent prospères.

Que le front blanchi de nos pères

Soit couvert de lauriers cueillis par leurs enfans.
Tu fus long-temps l'effroi, sois l'honneur de la terre,
O république des François !

Que le chant des plaisirs succède aux cris de guerre,
La victoire a conquis la paix.

Hélas! que sont-ils devenus ces jours de gloire et de paix, dont la France se flattoit il y a vingt années! Tous ces biens ont été dans les mains d'un seul homme : qu'en a-t-il fait?

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Préparatifs du général Bonaparte pour aller en Égypte. Son opinion sur l'invasion de la Suisse.

Le général Bonaparte, à cette même époque, à la fin de 1797, sonda l'opinion publique relativement aux directeurs; il vit qu'ils n'étoient point aimés, mais qu'un sentiment républicain rendoit encore impossible à un général de se mettre à la place des magistrats civils. Un soir il parloit avec Barras de son ascendant sur les peuples italiens, qui avoient voulu le faire duc de Milan et roi d'Italie. Mais je ne pense, dit-il, à rien de semblable dans aucun pays. « Vous faites bien de n'y pas son» ger en France, répondit Barras; car, si le » directoire vous envoyoit demain au Temple, » il n'y auroit pas quatre personnes qui s'y op»posassent. » Bonaparte étoit assis sur un canapé à côté de Barras; à ces paroles il s'élança vers la cheminée, n'étant pas maître de sou irritation; puis, reprenant cette espèce de calme apparent dont les hommes les plus passionnés

parmi les habitans du Midi sont capables, il déclara qu'il vouloit être chargé d'une expédition militaire. Le directoire lui proposa la descente en Angleterre; il alla visiter les côtes; et, reconnoissant bientôt que cette expédition étoit insensée, il revint décidé à tenter la conquête de l'Egypte.

Bonaparte a toujours cherché à s'emparer de l'imagination des hommes, et, sous ce rapport, il sait bien comment il faut les gouverner quand on n'est pas né sur le trône. Une invasion en Afrique, la guerre portée dans un pays presque fabuleux, l'Égypte, devoit agir sur tous les esprits. L'on pouvoit aisément persuader aux François qu'ils tireroient un grand avantage d'une telle colonie dans la Méditerranée, et qu'elle leur offriroit un jour les moyens d'attaquer les établissemens des Anglois dans l'Inde. Ces projets avoient de la grandeur, et devoient augmenter encore l'éclat du nom de Bonaparte. S'il étoit resté en France, le directoire auroit lancé contre lui, par tous les journaux dont il disposoit, des calomnies sans nombre, et terni ses exploits dans l'imagination des oisifs: Bonaparte se seroit trouvé réduit en poussière avant même que la foudre l'eût frappé. Il avoit donc raison de vouloir se faire un personnage

poétique, au lieu de rester exposé aux commé rages jacobins qui, sous leur forme populaire, ne sont pas moins adroits que ceux des

cours.

Il n'y avoit point d'argent pour transporter une armée en Égypte ; et ce que Bonaparte fit surtout de condamnable, ce fut d'exciter le directoire à l'invasion de la Suisse, afin de s'emparer du trésor de Berne, que deux cents ans de sagesse et d'économie avoient amassé. La guerre avoit pour prétexte la situation du pays de Vaud. Il n'est pas douteux que le pays de Vaud n'eût le droit de réclamer une existence indépendante, et qu'il ne fasse très-bien maintenant de la conserver. Mais, si l'on a blâmé les émigrés de s'être réunis aux étrangers contre la France, le même principe ne doit-il pas s'appliquer aux Suisses qui invoquoient le terrible secours des François ? D'ailleurs il ne s'agissoit pas du pays de Vaud seul dans une guerre qui devoit nécessairement compromettre l'indépendance de la Suisse entière. Cette cause me paroissoit si sacrée que je ne croyois point encore alors tout-à-fait impossible d'engager Bonaparte à la défendre. Dans toutes les circonstances de ma vie, les erreurs que j'ai commises en politique sont venues de l'idée que les hommes

étoient toujours remuables par la vérité, si elle leur étoit présentée avec force.

Je restai près d'une heure tête à tête avec Bonaparte; il écoute bien et patiemment, car il veut savoir si ce qu'on lui dit pourroit l'éclairer sur ses propres affaires; mais Démosthène et Cicéron réunis ne l'entraîneroient pas au moindre sacrifice de son intérêt personnel. Beaucoup de gens médiocres appellent cela de la raison : c'est de la raison du second ordre; y en a une plus haute, mais qui ne se devine point par le calcul seulement.

il

Le général Bonaparte, en causant avec moi sur la Suisse, m'objecta l'état du pays de Vaud comme un motif pour y faire entrer les troupes françoises. Il me dit que les habitans de ce pays étoient soumis aux aristocrates de Berne, et que des hommes ne pouvoient pas maintenant exister sans droits politiques. Je tempérai tant que je le pus cette ardeur républicaine, représentant que les Vaudois étoient parfaitement libres sous tous les rapports civils, et que, quand la liberté existoit de fait, il ne falloit pas, pour l'obtenir de droit, s'exposer au plus grand des malheurs, celui de voir les étrangers sur son territoire. « L'amour-propre et l'imagination, >> reprit le général, font tenir à l'avantage de

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