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>>> participer au gouvernement de son pays, et >> c'est une injustice que d'en exclure une por>>tion des citoyens. » Rien n'est plus vrai en principe, lui dis-je, général; mais il est également vrai que c'est par ses propres efforts qu'il faut obtenir la liberté, et non en appelant comme auxiliaire une puissance nécessairement dominante. Le mot de principe a depuis paru trèssuspect au général Bonaparte; mais alors il lui convenoit de s'en servir, et il me l'objecta. J'insistai de nouveau sur le bonheur et la beauté de l'Helvétie, sur le repos dont elle jouissoit depuis plusieurs siècles. « Oui, sans doute, inter>> rompit Bonaparte, mais il faut aux hommes » des droits politiques; oui, répéta-t-il comme >> une chose apprise, oui, des droits politiques ;» et, changeant de conversation, parce qu'il ne vouloit plus rien entendre sur ce sujet, il me parla de son goût pour la retraite, pour la campagne, pour les beaux-arts, et se donna la peine de se montrer à moi sous des rapports analogues au genre d'imagination qu'il me supposoit.

Cette conversation me fit cependant concevoir l'agrément qu'on peut lui trouver quand il prend l'air bonhomme, et parle comme d'une chose simple de lui-même et de ses projets. Cet art, le plus redoutable de tous, a captivé beau14...

TOME II.

coup de gens. A cette même époque, je revis encore quelquefois Bonaparte en société, et il me parut toujours profondément occupé des rap. ports qu'il vouloit établir entre lui et les autres hommes, les tenant à distance ou les rapprochant de lui, suivant qu'il croyoit se les attacher plus sûrement. Quand il se trouvoit avec les directeurs surtout, il craignoit d'avoir l'air d'un général sous les ordres de son gouvernement, et il essayoit tour à tour dans ses manières, avec cette sorte de supérieurs, la dignité ou la familiarité; mais il manquoit le ton vrai de l'une et de l'autre. C'est un homme qui ne sauroit être naturel que dans le commandement.

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CHAPITRE XXVIII.

Invasion de la Suisse.

LA Suisse étant menacée d'une invasion prochaine, je quittai Paris au mois de janvier 1798, pour aller rejoindre mon père à Coppet. Il étoit encore inscrit sur la liste des émigrés, et une loi positive condamnoit à mort un émigré qui restoit dans un pays occupé par les troupes françoises. Je fis l'impossible pour l'engager à quitter sa demeure; il ne le voulut point: A mon âge, disoit-il, il ne faut point errer sur la terre. Je crois que son motif secret étoit de ne pas s'éloigner du tombeau de ma mère; il avoit, à cet égard, une superstition de cœur qu'il n'auroit sacrifiée qu'à l'intérêt de sa famille, mais jamais au sien propre. Depuis quatre ans que la compagne de sa vie n'existoit plus, il ne se passoit presque pas un jour qu'il n'allât se promener près du monument où elle repose, et en partant il auroit cru l'abandonner.

Lorsque l'entrée des François fut positivement annoncée, nous restâmes seuls, mon père

et moi, dans le château de Coppet, avec mes enfans en bas âge. Le jour marqué pour la violation du territoire suisse, nos gens curieux descendirent au bas de l'avenue, et mon père et moi, qui attendions ensemble notre sort, nous nous plaçâmes sur un balcon, d'où l'on voyoit le grand chemin par lequel les troupes devoient arriver. Quoique ce fût au milieu de l'hiver, le temps étoit superbe, les Alpes se réfléchissoient dans le lac; et le bruit du tambour troubloit seul le calme de la scène. Mon cœur battoit cruellement par la crainte de ce qui pouvoit menacer mon père. Je savois que le directoire parloit de lui avec respect; mais je connoissois aussi l'empire des lois révolutionnaires sur ceux qui les avoient faites. Au moment où les troupes françoises passèrent la 'frontière de la confédération helvétique, je vis un officier quitter sa troupe pour monter à notre château. Une frayeur mortelle me saisit; mais ce qu'il nous dit me rassura bientôt. Il étoit chargé par le directoire d'offrir à mon père une sauvegarde; çet officier, très-connu depuis sous le titre de maréchal Suchet, se conduisit à merveille pour nous, et son état-major, qu'il amena le lendemain chez mon père, suivit son exemple.

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Il est impossible de ne pas trouver chez les François, malgré les torts qu'on a pu avoir raison de leur reprocher, une facilité sociale qui fait vivre à l'aise avec eux. Néanmoins cette armée, qui avoit și bien défendu l'indépendance de son pays, vouloit conquérir la Suisse entière, et pénétrer jusque dans les montagnes des petits cantons, où des hommes simples conservoient l'antique trésor de leurs vertus et de leurs usages. Sans doute, Berne et d'autres villes de Suisse possédoient d'injustes priviléges, et de vieux préjugés se mêloient à la démocratie des petits cantons; mais étoit-ce par la force qu'on pouvoit améliorer des pays accoutumés à ne reconnoître que l'action lente et progressive du temps? Les institutions politiques de la Suisse, il est vrai, se sont perfectionnées à plusieurs égards, et jusqu'à ces derniers temps on auroit pu croire que la médiation même de Bonaparte avoit éloigné quelques préjugés des cantons catholiques. Mais l'union et l'énergie patriotique ont beaucoup perdu depuis la révolution. L'on s'est habitué à recourir aux étrangers, à prendre part aux passions politiques des autres nations, tandis que le seul intérêt de l'Helvétie, c'est d'être pacifique, indépen dante et fière.

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