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CHAPITRE XXIX.

De la fin du directoire.

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APRÈS le coup funeste que la force militaire avoit porté, le 18 fructidor, à la considération des représentans du peuple, le directoire se maintint encore, comme on vient de le voir, pendant près de deux années, sans aucun changement extérieur dans son organisation. Mais le principe de vie qui l'avoit animé n'existoit plus; et l'on auroit pu dire de lui comme du géant dans l'Arioste, qu'il combattoit encore oubliant qu'il étoit mort. Les élections, délibérations des conseils, ne présentoient aucun intérêt, puisque les résultats en étoient toujours connus d'avance. Les persécutions qu'on faisoit subir aux nobles et aux prêtres n'étoient plus même provoquées par la haine populaire; la guerre n'avoit plus d'objet, puisque l'indépendance de la France et la limite du Rhin étoient assurées. Mais loin de rattacher l'Europe à la France, les directeurs commençoient déjà l'œuvre funeste que Napoléon a si cruellement terminée ils inspiroient aux nations autant

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d'aversion pour le gouvernement françois, que les princes seuls en avoient d'abord éprouvé.

On proclama la république romaine du haut du Capitole, mais il n'y avoit de républicains dans la Rome de nos jours que les statues; et c'étoit n'avoir aucune idée de la nature de l'enthousiasme, que d'imaginer qu'en le contrefaisant on le feroit naître. Le consentement libre des peuples peut seul donner aux institutions politiques une certaine beauté native et spontanée, une harmonie naturelle qui garantisse leur durée. Le monstrueux système du despotisme dans les moyens, sous prétexte de la liberté dans le but, ne créoit que des gouvernemens à ressort, qu'il falloit remonter sans cesse, et qui s'arrêtoient dès qu'on cessoit de les faire marcher. On donnoit des fêtes à Paris avec des costumes grecs et des chars antiques; mais rien n'étoit fondé dans les âmes, et l'immoralité seule faisoit des progrès de toutes parts; car l'opinion publique ne récompensoit ni n'inti

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Une révolution avoit eu lieu dans l'intérieur du directoire comme dans l'intérieur d'un sérail, sans que la nation y prît la moindre part. Les nouveaux choix étoient tombés sur des hommes tellement vulgaires, que la France, tout-à-fait

lassée d'eux, appeloit à grands cris un chef militaire : car elle ne vouloit, ni des jacobins dont le souvenir lui faisoit horreur, ni de la contrerévolution que l'arrogance des émigrés rendoit redoutable.

Les avocats qu'on avoit appelés dans l'année 1799 à la place de directeurs, n'y développoient que les ridicules de l'autorité sans les talens et les vertus qui la rendent utile et respectable: c'étoit en effet une chose singulière que la facilité avec laquelle un directeur se donnoit des airs de cour du soir au lendemain ; il faut que ce ne soit pas un rôle bien difficile. Gohier, Moulins, que sais-je ? les plus inconnus des mortels, étoient-ils nommés directeurs, le jour d'après ils ne s'occupoient plus que d'eux-mêmes : ils vous parloient de leur santé, de leurs intérêts de famille, comme s'ils étoient devenus des personnages chers à tout le monde. Ils étoient entretenus dans cette illusion par des flatteurs de bonne ou mauvaise compagnie, mais qui faisoient enfin leur métier de courtisans, en montrant à leur prince une sollicitude touchante sur tout ce qui pouvoit le regarder, à condition d'en obtenir une petite audience pour une requête particulière. Ceux de ces hommes qui avoient eu des reproches à

se faire pendant le règne de la terreur, conservoient toujours à ce sujet une agitation remarquable. Prononciez-vous un mot qui pût se rapporter au souvenir qui les inquiétoit, ils vous racontoient aussitôt leur histoire dans le plus grand détail, et quittoient tout pour vous en parler des heures entières. Reveniez-vous à l'affaire dont vous vouliez les entretenir, ils ne vous écoutoient plus. La vie de tout individu qui a commis un crime politique est toujours rattachée à ce crime, soit le pour justifier, soit pour le faire oublier à force de pouvoir.

La nation, fatiguée de cette caste révolutionnaire, en étoit arrivée à ce période des crises politiques où l'on croit trouver du repos par le pouvoir d'un seul. Ainsi Cromwell gouverna l'Angleterre, en offrant aux hommes compromis par la révolution l'abri de son despotisme. L'on ne peut nier à quelques égards la vérité de ce mot, qu'a dit depuis Bonaparte: J'ai trouvé la couronne de France par terre, et je l'ai ramassée; mais c'étoit la nation françoise elle-même qu'il falloit relever.

Les Russes et les Autrichiens avoient remporté de grandes victoires en Italie; les partis

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se multiplioient à l'infini dans l'intérieur, et l'on entendoit dans le gouvernement cette sorte de craquement qui précède la chute de l'édifice. On souhaita d'abord que le général Joubert se mît à la tête de l'état ; il préféra le commandement des troupes, et se fit tuer noblement par l'ennemi, ne voulant pas survivre aux revers des armées françoises. Les vœux de tous auroient désigné Moreau pour premier magistrat de la république ; et certainement ses vertus l'en rendoient digne: mais il ne se sentoit peutêtre pas assez d'habileté politique pour une telle situation, et il aimoit mieux s'exposer aux dangers qu'aux affaires.

Parmi les autres généraux françois, on n'en connoissoit guère qui fussent propres à la carrière civile. Un seul, le général Bernadotte, réunissoit, comme il l'a prouvé dans la suite, les qualités d'un homme d'état et d'un grand militaire. Mais le parti républicain étoit le seul qui le portât alors, et ce parti n'approuvoit pas plus l'usurpation de la république, que les royalistes n'approuvoient celle du trône. Bernadotte se borna donc, comme nous le rappellerons dans le chapitre suivant, à rétablir les armées pendant qu'il fut ministre de la guerre. Les

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