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nette pour rétablir l'ordre ; les cris de traître et d'usurpateur se faisoient entendre de toutes parts; et l'un des députés, compatriote de Bonaparte, le corse Aréna, s'approcha de ce général et le secoua fortement par le collet de son habit. On a supposé, mais sans fondement, qu'il avoit un poignard pour le tuer. Son action cependant effraya Bonaparte, et il dit aux grenadiers qui étoient à côté de lui, en laissant tomber sa tête sur l'épaule de l'un d'eux : Tirezmoi d'ici. Les grenadiers l'enlevèrent du milieu des députés qui l'entouroient, ils le portèrent hors de la salle en plein air; et, dès qu'il y fut, sa présence d'esprit lui revint. Il monta à cheval à l'instant même ; et, parcourant les rangs de ses grenadiers, il les détermina bientôt à ce qu'il vouloit d'eux.

Dans cette circonstance, comme dans beaucoup d'autres, on a remarqué que Bonaparte pouvoit se troubler quand un autre danger que celui de la guerre étoit en face de lui, et quelques personnes en ont conclu bien ridiculement qu'il manquoit de courage. Certes on ne peut nier son audace; mais, comme il n'est rien, pas même brave, d'une façon généreuse, il s'ensuit qu'il ne s'expose jamais que quand cela peut être utile. Il seroit très-fàché

d'être tué, parce que c'est un revers, et qu'il veut en tout du succès ; il en seroit aussi fâché, parce que la mort déplaît à son imagination; mais il n'hésite pas à hasarder sa vie, lorsque, suivant sa manière de voir, la partie vaut le risque de l'enjeu, s'il est permis de s'exprimer ainsi.

Après que le général Bonaparte fut sorti de la salle des cinq cents, les députés qui lui véhéétoient opposés demandèrent avec mence qu'il fût mis hors la loi, et c'est alors que son frère Lucien, président de l'assemblée, lui rendit un éminent service en se refusant, malgré toutes les instances qu'on lui faisoit, à mettre cette proposition aux voix. S'il y avoit consenti, le décret auroit passé, et personne ne peut savoir l'impression que ce décret eût encore produite sur les soldats : ils avoient constamment abandonné depuis dix ans ceux de leurs généraux que le pouvoir législatif avoit proscrits; et, bien que la représentation nationale eût perdu son caractère de légalité par 18 fructidor, la ressemblance des mots l'emporte souvent sur la diversité des choses. Le général Bonaparte se hâta d'envoyer la force armée prendre Lucien pour le mettre en sûreté hors de la salle; et, dès qu'il fut sorti,

les

le

grenadiers entrèrent dans l'orangerie, où les députés étoient rassemblés, et les chassèrent en marchant en avant d'une extrémité de la salle à l'autre, comme s'il n'y avoit eu personne. Les députés repoussés contre le mur furent forcés de s'enfuir par la fenêtre dans les jardins de Saint-Cloud avec leur toge sénatoriale. On avoit déjà proscrit des représentans du peuple en France; mais c'étoit la première fois depuis la révolution qu'on rendoit l'état civil ridicule en présence de l'état militaire ; et Bonaparte, qui vouloit fonder son pouvoir sur l'avilissement des corps aussi-bien que sur celui des individus, jouissoit d'avoir su, dès les premiers instans, détruire la considération des députés du peuple. Du moment que la force morale de la représentation nationale étoit anéantie, un corps législatif, quel qu'il fût, n'offroit aux yeux des militaires qu'une réunion de cinq cents hommes beaucoup moins forts et moins dispos qu'un bataillon du même nombre, et ils ont toujours été prêts depuis, si leur chef le commandoit, à redresser les diversités d'opinion comme des fautes de discipline.

Dans les comités des cinq cents, en présence des officiers de sa suite et de quelques amis des directeurs, le général Bonaparte tint un dis

TOME II.

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cours qui fut imprimé dans les journaux du temps. Ce discours offre un rapprochement singulier et que l'histoire doit recueillir. Qu'ontils fait, dit-il, en parlant des directeurs, de cette France que je leur ai laissée si brillante? Je leur avois laissé la paix, et j'ai retrouvé la guerre; je leur avois laissé des victoires, et j'ai retrouvé des revers. Enfin, qu'ont-ils fait de cent mille François que je connoissois tous, mes compagnons d'armes, et qui sont morts maintenant? Puis, terminant tout à coup sa harangue d'un ton plus calme, il ajouta : Cet état de choses ne peut durer; il nous mèneroit dans trois ans au despo tisme. Bonaparte s'est chargé de hâter l'accomplissement de sa prédiction.

Mais ne seroit-ce pas une grande leçon pour l'espèce humaine, si ces directeurs, hommes très peu guerriers, se relevoient de leur poussière, et demandoient compte à Napoléon de la barrière du Rhin et des Alpes, conquise par la république; compte des étrangers arrivés deux fois à Paris; compte de trois millions de François qui ont péri depuis Cadix jusqu'à Moscou; compte surtout de cette sympathie que les nations ressentoient pour la cause de la liberté en France, et qui s'est maintenant changée en aversion invétérée. Certes, les directeurs n'en seroient pas

pour cela plus à louer; mais on en devroit conclure que de nos jours une nation éclairée ne peut rien faire de pis que de se remettre entre les mains d'un homme. Le public a plus d'esprit qu'aucun individu maintenant, et les institutions rallient les opinions beaucoup plus sagement que les circonstances. Si la nation françoise, au lieu de choisir ce fatal étranger, qui l'a exploitée pour son propre compte, et mal exploitée même sous ce rapport; si la nation françoise, dis-je, alors si imposante, malgré toutes ses fautes, s'étoit constituée elle-même, en respectant les leçons que dix ans d'expérience venoient de lui donner, elle seroit encore la lumière du monde.

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