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dans le découragement de l'humeur, aperçut très-vite en quoi le système de Sieyes pouvoit lui être utile. C'étoit parce qu'il anéantissoit très-artistement les élections populaires : Sieyes y substituoit des listes de candidats sur lesquelles le sénat devoit choisir les membres du corps législatif et du tribunat; car on mettoit, je ne sais pourquoi, trois corps dans cette constitution, et même quatre, si l'on y comprend le conseil d'état, dont Bonaparte s'est si bien servi depuis. Quand le choix des députés n'est pas purement et directement fait par le peuple, il n'y a plus de gouvernement représentatif; des institutions héréditaires peuvent accompagner celle de l'élection, mais c'est en elle siste la liberté. Aussi l'important pour Bonaparte étoit-il de paralyser l'élection populaire, parce qu'il savoit bien qu'elle est inconciliable avec le despotisme.

que con

Dans cette constitution, le tribunat, composé de cent personnes, devoit parler, et le corps législatif, composé de deux cent cinquante, devoit se taire; mais on ne concevoit pas pourquoi l'on donnoit à l'un cette permission, en imposant à l'autre cette contrainte. Le tribunat et le corps législatif n'étoient point assez nombreux en proportion de la population

de la France, et toute l'importance politique devoit se concentrer dans le sénat conservateur qui réunissoit tous les pouvoirs hors un seul, celui qui naît de l'indépendance de fortune. Les sénateurs n'existoient que par les appointemens qu'ils recevoient du pouvoir exécutif. Le sénat n'étoit en effet que le masque de la tyrannie; il donnoit aux ordres d'un seul l'apparence d'être discutés par plusieurs.

Quand Bonaparte fut assuré de n'avoir affaire qu'à des hommes payés, divisés en trois corps, et nommés les uns par les autres, il se crut certain d'atteindre son but. Ce beau nom de tribun signi fioit des pensions pour cinq ans ; ce grand nom de sénateur signifioit des canonicats à vie, et il comprit bien vite que les uns voudroient acquérir ce que les autres désireroient conserver. Bonaparte se faisoit dire sa volonté sur divers tons, tantôt par la voix sage du sénat, tantôt par les cris commandés des tribuns, tantôt par le scrutin silencieux du corps législatif; et ce chœur à trois parties étoit censé l'organe de la nation, quoiqu'un même maître en fût le coryphée.

L'œuvre de Sieyes fut sans doute altérée par Bonaparte. Sa vue longue d'oiseau de proie lui fit découvrir et supprimer tout ce qui, dans les

institutions proposées, pouvoit un jour amener quelque résistance; mais Sieyes avoit perdu la liberté en substituant quoi que ce fût à l'élection populaire.

Bonaparte lui-même n'auroit peut-être pas été assez fort pour opérer alors un tel changement dans les principes généralement admis; il falloit que le philosophe servit à cet égard les desseins de l'usurpateur. Non assurément que Sieyes voulût établir la tyrannie en France; on doit lui rendre la justice qu'il n'y a jamais pris part : et d'ailleurs, un homme d'autant d'esprit ne peut aimer l'autorité d'un seul, si ce seul n'est pas lui-même. Mais, par sa métaphysique, il embrouilla la question la plus simple, celle de l'élection; et c'est à l'ombre de ces nuages que Bonaparte s'introduisit impunément dans le despotisme.

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Des progrès du pouvoir absolu de Bonaparte.

On ne sauroit trop observer les premiers symptômes de la tyrannie; car, quand elle a grandi à un certain point, il n'est plus temps de l'arrêter. Un seul homme enchaîne la volonté d'une multitude d'individus dont la plupart, pris séparément, souhaiteroient d'être libres, mais qui néanmoins se soumettent, parce que chacun d'eux redoute l'autre, et n'ose lui communiquer franchement sa pensée. Souvent il suffit d'une minorité très-peu nombreuse pour faire face tour à tour à chaque portion de la majorité qui s'ignore elle-même.

Malgré les diversités de temps et de lieux, il y a des points de ressemblance entre l'histoire de toutes les nations tombées sous le joug. C'est presque toujours après de longs troubles civils que la tyrannie s'établit, parce qu'elle offre à tous les partis épuisés et craintifs l'espoir de trouver en elle un abri. Bonaparte a dit de luimême, avec raison, qu'il savoit jouer à merveille de l'instrument du pouvoir. En effet,

comme il ne tient à aucune idée, et qu'il n'est arrêté par aucun obstacle, il se présente dans l'arène des circonstances en athlète aussi souple que vigoureux, et son premier coup d'œil lui fait connoître ce qui, dans chaque personne, ou dans chaque association d'hommes, peut servir à ses desseins personnels. Son plan, pour parvenir à dominer la France, se fonda sur trois bases principales : contenter les intérêts des hommes aux dépens de leurs vertus, dépraver l'opinión par des sophismes, et donner à la nation pour but la guerre au lieu de la liberté. Nous le verrons suivre ces diverses routes avec une rare habileté. Les François, hélas! ne l'ont que trop bien secondé; néanmoins, c'est à son funeste génie surtout qu'il faut s'en prendre; car, les gouvernemens arbitraires ayant empêché de tout temps que cette nation n'eût des idées fixes sur aucun sujet, Bonaparte a fait mouvoir ses passions sans avoir à lutter contre ses principes. Il pouvoit dès lors honorer la France, et s'affermir lui-même par des institutions respectables; mais le mépris de l'espèce humaine a tout desséché dans son âme, et il a cru qu'il n'existoit de profondeur que dans la région du

mal.

Nous avons déjà vu que le général Bonaparte

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