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premier consul s'étoit réservé la faculté de disposer, sous un prétexte quelconque, du sort de tous et de chacun. Cet état inouï de dépendance excuse à beaucoup d'égards la nation. Peut-on en effet s'attendre à l'héroïsme universel? et ne faut-il pas de l'héroïsme pour s'exposer à la ruine et au bannissement qui pesoit sur toutes les têtes par l'application d'un décret quelconque? Un concours unique de circonstances mettoit à la disposition d'un homme les lois de la terreur, et la force militaire créée par l'enthousiasme républicain. Quel héritage pour un habile despote!

Ceux, parmi les François, qui cherchoient à résister au pouvoir toujours croissant du premier consul, devoient invoquer la liberté pour lutter avec succès contre lui. Mais à ce mot les aristocrates et les ennemis de la révolution crioient au jacobinisme, et secondoient ainsi la tyrannie, dont ils ont voulu depuis faire retomber le blâme sur leurs adversaires.

Pour calmer les jacobins, qui ne s'étoient pas encore tous ralliés à cette cour, dont ils ne comprenoient pas bien le sens, on répandoit des brochures dans lesquelles on disoit que l'on ne pas craindre que Bonaparte voulût res

devoit sembler à César, à Cromwel ou à Monk; rôles

usés, disoit-on, qui ne conviennent plus au siècle. Il n'est pas bien sûr cependant que les événemens de ce monde ne se répètent pas, quoique cela soit interdit aux auteurs des pièces nouvelles; mais ce qu'il importoit alors, c'étoit de fournir une phrase à tous ceux qui vouloient être trompés d'une manière décente. La vanité françoise commença dès lors à se porter sur l'art de la diplomatie : la nation entière, à qui l'on disoit le secret de la comédie étoit flattée de la confidence, et se complaisoit dans la réserve intelligente que l'on exigeoit d'elle.

On soumit bientôt les nombreux journaux qui existoient en France à la censure la plus rigoureuse, mais en même temps la mieux combinée; car il ne s'agissoit pas de commander le silence à une nation qui a besoin de faire des phrases dans quelque sens que ce soit, comme le peuple romain avoit besoin de voir les jeux du cirque. Bonaparte établit dès lors cette tyrannie bavarde dont il a tiré depuis un si grand avantage. Les feuilles périodiques répétoient toutes la même chose chaque jour, sans que jamais il fût permis de les contredire. La liberté des journaux diffère à plusieurs égards de celle des livres. Les journaux annoncent les nouvelles dont toutes les classes de personnes

peu

sont avides, et la découverte de l'imprimerie, loin d'être, comme on l'a dit, la sauvegarde de la liberté, seroit l'arme la plus terrible du despotisme, si les journaux, qui sont la seule lecture des trois quarts de la nation, étoient exclusivement soumis à l'autorité. Car, de mê me que les troupes réglées sont plus dangereuses que les milices pour l'indépendance des ples, les écrivains soldés dépravent l'opinion bien plus qu'elle ne pouvoit se dépraver, quand on ne communiquoit que par la parole, et que l'on formoit ainsi son jugement d'après les faits. Mais, lorsque la curiosité pour les nouvelles ne peut se satisfaire qu'en recevant un appoint de mensonges; lorsque aucun événement n'est raconté sans être accompagné d'un sophisme; lorsque la réputation de chacun dépend d'une calomnie répandue dans des gazettes qui se multiplient de toutes parts sans qu'on accorde à personne la possibilité de les réfuter; lorsque les opinions sur chaque circonstance, sur chaque ouvrage, sur chaque individu, sont soumises au mot d'ordre des journa listes, comme les mouvemens des soldats aux chefs de file: c'est alors que l'art de l'imprimerie devient ce que l'on a dit du canon; la dernière raison des rois.

Bonaparte, lorsqu'il disposoit d'un million d'hommes armés, n'en attachoit pas moins d'importance à l'art de guider l'esprit public par les gazettes; il dictoit souvent lui-même des articles de journaux qu'on pouvoit reconnoître aux saccades violentes du style; on voyoit qu'il auroit voulu mettre dans ce qu'il écrivoit, des coups au lieu de mots. Il a dans tout son être un fond de vulgarité que le gigantesque de son ambition même ne sauroit toujours cacher. Ce n'est pas qu'il ne sache très-bien, un jour donné, se montrer avec beaucoup de convenance; mais il n'est à son aise que dans le mépris pour les autres ; et, dès qu'il peut y rentrer, il s'y complaît. Toutefois ce n'étoit pas uniquement par goût qu'il se livroit à faire servir, dans ses notes du Moniteur, le cynisme de la révolution au maintien de sa puissance. Il ne permettoit qu'à lui d'être jacobin en France. Mais, lorsqu'il inséroit dans ses bulletins des injures grossières contre les personnes les plus respectables, il croyoit ainsi captiver la masse du peuple et des soldats, en se rapprochant de leur langage et de leurs passions, sous la pourpre même dont il étoit revêtu. On ne peut arriver à un grand pouvoir qu'en mettant à profit la tendance de son siècle : aussi

Bonaparte étudia-t-il bien l'esprit du sien. Il y avoit eu, parmi les hommes supérieurs du dixhuitième siècle en France, un superbe enthousiasme pour les principes qui fondent le bonheur et la dignité de l'espèce humaine; mais à l'abri de ce grand chêne croissoient des plantes vénéneuses, l'égoïsme et l'ironie ; et Bonaparte sut habilement se servir de ces dispositions.funestes. Il tourna toutes les belles choses en ridicule, excepté la force; et la maxime proclamée sous son règne étoit : Honte aux vaincus! Aussi l'on ne seroit tenté de dire aux disciples de sa doctrine qu'une seule injure: Et pourtant vous n'avez pas réussi; car tout blâme, tiré du sentiment moral, ne leur importeroit guère.

Il falloit cependant donner un principe de vie à ce système de dérision et d'immoralité, sur lequel se fondoit le gouvernement civil. Ces puissances négatives ne suffisoient pas pour marcher en avant sans l'impulsion des succès militaires. L'ordre dans l'administration et dans les finances, les embellissemens des villes, la confection des canaux et des grandes routes, tous. ce qu'on a pu louer enfin dans les affaires de l'intérieur, avoit pour unique base l'argent ob

tenu par

les contributions levées sur les étran¬

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