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loit, c'étoit préparer les voies pour son arrivée au trône.

A

le

Il lui falloit un clergé comme des chambellans, comme des titres, comme des décorations, enfin, comme toutes les anciennes cariatides du pouvoir; et lui seul étoit en mesure de les relever. L'on s'est plaint du retour des vieilles institutions, et l'on ne devroit pas oublier que Bonaparte en est la véritable cause. C'est lui qui a récomposé le clergé, pour faire servir à ses desseins. Les révolutionnaires, qui étoient encore redoutables, il y a quatorze ans, n'auroient jamais souffert que l'on redonnât ainsi une existence politique aux prêtres, si un homme qu'ils considéroient, à quelques égards, comme l'un d'entre eux, en leur présentant un concordat avec le pape, ne leur eût pas assuré que c'étoit une mesure très-profondément combinée, et qui serviroit au maintien des institutions nouvelles. Les révolutionnaires, à quelques exceptions près, sont plus violens que rusés, et par cela même on les flatte quand on les traite en hommes habiles.

Bonaparte assurément n'est pas religieux, et l'espèce de superstition dont on a pu découvrir quelques traces dans son caractère, tient uniquement au culte de lui-même. Il croit à sa

fortune, et ce sentiment s'est manifesté en lui de diverses manières; mais, depuis le mahométisme jusqu'à la religion des pères du désert, depuis la loi agraire jusqu'à l'étiquette de la cour de Louis XIV, son esprit est prêt à concevoir, et son caractère à exécuter ce que la circonstance peut exiger. Toutefois son penchant naturel étant pour le despotisme, ce qui le favorise lui plaît, et il auroit aimé l'ancien régime de France plus que personne, s'il avoit pu persuader au monde qu'il descendoit en droite ligne de saint Louis.

Il a souvent exprimé le regret de ne pas ré gner dans un pays où le monarque fût en mê→ me temps le chef de l'église, comme en Angle terre et en Russie; mais, trouvant encore le clergé de France dévoué à la cour de Rome, il voulut négocier avec elle. Un jour il assuroit aux prélats que, dans son opinion, il n'y avoit que la religion catholique de vraiment fondée sur les traditions anciennes; et, d'ordinaire, il leur montroit sur ce sujet quelque érudition acquise de la veille; puis, se trouvant avec des philosophes, il dit à Cabanis: Savez-vous ce que c'est que le concordat que je viens de signer? C'est la vaccine de la religion: dans cinquante ans il n'y en aura

plus en France. Ce n'étoient ni la religion ni la philosophie qui lui importoient dans l'existence d'un clergé tout-à-fait soumis à ses volontés; mais, ayant entendu parler de l'alliance entre l'autel et le trône, il commença par relever l'autel. Aussi, en célébrant le concordat, fit-il, pour ainsi dire, la répétition habillée de son

couronnement.

Il ordonna, au mois d'avril 1802, une grande cérémonie à Notre-Dame. Il y fut avec toute la pompe royale, et nomma pour l'orateur de cette inauguration, qui ? l'archevêque d'Aix, le même qui avoit fait le sermon du sacre à la cathédrale de Reims, le jour où Louis XVI fut couronné. Deux motifs le déterminèrent à ce choix : l'espoir ingénieux que, plus il imitoit la monarchie, plus il faisoit naî tre l'idée de l'en nommer le chef; et le dessein perfide de déconsidérer l'archevêque d'Aix assez pour le mettre entièrement dans sa dépen dance, et pour donner à tous la mesure de son ascendant. Toujours il a voulu, quand cela se pouvoit, qu'un homme connu fit quelque chose d'assez blåmable en s'attachant à lui, pour être le perdu dans l'estime de tout autre parti que sien. Brûler ses vaisseaux, c'étoit lui sacrifier sa réputation; il vouloit faire des hommes une

monnoie qui ne reçût sa valeur que de l'empreinte du maître. La suite a prouvé que cette monnoie savoit rentrer en circulation avec une autre effigie.

Le jour du concordat, Bonaparte se rendit à l'église de Notre-Dame, dans les anciennes voitures du roi, avec les mêmes cochers, les mêmes valets de pied marchant à côté de la portière; il se fit dire jusque dans le moindre détail toute l'étiquette de la cour; et, bien que premier consul d'une république, il s'appliqua tout cet appareil de la royauté. Rien, je l'avoue, ne me fit éprouver un sentiment d'irritation pareil. Je m'étois renfermée dans ma maison pour ne pas voir cet odieux spectacle; mais j'y entendois les coups de canon qui célébroient la servitude du peuple françois. Car y avoit-il quelque chose de plus honteux que d'avoir renversé les antiques constitutions royales, entourées au moins de nobles souvenirs, pour reprendre ces mêmes institutions, sous des formes de parvenus, et avec les fers du despotisme? C'étoit ce jour-là qu'on pouvoit adresser aux François ces belles paroles de Milton à ses compatriotes: Nous allons devenir la honte des nations libres, et le jouet de celles qui ne le sont pas; est-ce là, diront les étrangers, cet édifice de li

berté que les Anglois se glorifioient de bâtir? Ils n'en ont fait tout juste que ce qu'il falloit pour se rendre à jamais ridicules aux yeux de l'Europe entière. Les Anglois du moins ont appelé de cette prédiction.

Au retour de Notre-Dame, le premier consul, se trouvant au milieu de ses généraux, leur dit: N'est-il pas vrai qu'aujourd'hui tout paroissoit rétabli dans l'ancien ordre? « Oui, >> répondit noblement l'un d'entre eux, ex>>cepté deux millions de François qui sont >> morts pour la liberté, et qu'on ne peut faire » revivre. » D'autres millions ont péri depuis, mais pour le despotisme.

On accuse amèrement les François d'être irréligieux; mais l'une des principales causes de ce funeste résultat, c'est que les différens partis, depuis vingt-cinq ans, ont toujours voulu diriger la religion vers un but politique, et rien ne dispose moins à la piété que d'employer la religion pour un autre objet qu'ellemême. Plus les sentimens sont beaux par leur nature, plus ils inspirent de répugnance quand l'ambition et l'hypocrisie s'en emparent. Lorsque Bonaparte fut empereur, il nomma le même archevêque d'Aix, dont nous venons de parler, à l'archevêché de Tours; et celui-ci,

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