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CHAPITRE VII.

Dernier ouvrage de M. Necker sous le consulat de
Bonaparte.

M. NECKER eut un entretien avec Bonaparte à son passage en Italie par le mont SaintBernard, peu de temps avant la bataille de Marengo; pendant cette conversation, qui dura deux heures, le premier consul fit à mon père une impression assez agréable par la sorte de confiance avec laquelle il lui parla de ses projets futurs. Ainsi donc aucun ressentiment personnel n'animoit M. Necker contre Bonaparte, quand il publia son livre intitulé : Dernières vues de politique et de finances. La mort du duc d'Enghien n'avoit point encore eu lieu ; beaucoup de gens espéroient un grand bien du gouvernement de Bonaparte, et M. Necker étoit sous deux rapports dans sa dépendance, parce qu'il vouloit bien désirer que je n fusse pas bannie de Paris, dont j'aimois beaucoup le séjour; soit parce que son dépôt de deux millions étoit encore entre les mains du gouvernement, c'est-à-dire, du premier consul.

soit

ne

Mais M. Necker s'étoit fait une magistrature de vérité dans sa retraite, dont il ne négligeoit les obligations par aucun motif: il souhaitoit pour la France l'ordre et la liberté, la monarchie et le gouvernement représentatif; et, toutes les fois qu'on s'écartoit de cette ligne, il croyoit de son devoir d'employer son talent d'écrivain, et ses connoissances comme homme d'état, pour essayer de ramener les esprits vers le but. Toutefois, regardant Bonaparte alors comme le défenseur de l'ordre, et comme celui qui préservoit la France de l'anarchie, il l'appela l'homme nécessaire, et revint, dans plusieurs endroits de son livre, à vanter ses talens avec la plus haute estime. Mais ces éloges n'apaisèrent pas le premier consul. M. Necker avoit touché au point sensible de son ambition, en discutant le projet qu'il avoit formé d'établir une monarchie en France, de s'en faire le chef, et de s'entourer d'une noblesse de sá propre création. Bonaparte ne vouloit pas qu'on annoncât ce dessein avant qu'il fût accompli; encore moins permettoit-il qu'on en fit sentir. tous les défauts. Aussi, dès que cet ouvrage parut, les journalistes reçurent-ils l'ordre de l'attaquer avec le plus grand acharnement. Bonaparte signala M. Necker comme le principal

auteur de la révolution; car, s'il aimoit cette révolution comme l'ayant placé sur le trône, il la haïssoit par son instinct de despote : il auroit voulu l'effet sans la cause. D'ailleurs, son habileté en fait de haine lui avoit très-bien suggéré que M. Necker, souffrant plus que personne des malheurs qui avoient frappé tant de gens respectables en France, seroit profondément blessé, si, de la manière même la plus injuste, on le désignoit comme les ayant préparés.

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Aucune réclamation pour la restitution du dépôt de mon père ne fut admise, à dater de la publication de son livre en 1802; et le premier consul déclara, dans le cercle de sa cour, qu'il ne me laisseroit plus revenir à Paris, puisque, disoit-il, j'avois porté des renseignemens si faux à mon père sur l'état de la France. Certes, mon père n'avoit besoin de moi pour aucune chose dans ce monde, excepté, je l'espère, pour mon affection; et, quand j'arri vai à Coppet, son manuscrit étoit déjà livré à l'impression. Il est curieux d'observer ce qui, dans ce livre, put exciter si vivement la colère du premier consul.

Dans la première partie de son ouvrage, M. Necker analysoit la constitution consulaire

telle qu'elle existoit alors, et il approfondissoit aussi l'hypothèse de la royauté constituée par Bonaparte, ainsi qu'on pouvoit la prévoir. Il posoit en maxime qu'il n'y a point de système représentatif sans élection directe du peuple, et que rien n'autorisoit à dévier de ce principe. Examinant ensuite l'institution aristocratique, servant de barrière entre la représentation nationale et le pouvoir exécutif, M. Necker jugea d'avance le sénat conservateur, tel qu'il s'est montré depuis, comme un corps à qui l'on renvoyoit tout et qui ne pouvoit rien, un corps qui recevoit des appointemens, chaque premier du mois, de ce gouvernement qu'il étoit censé contrôler. Les sénateurs devoient nécessairement n'être que des commentateurs de la volonté consulaire. Une assemblée nombreuse s'associoit à la responsabilité des actes d'un seul, et chacun se sentoit plus à l'aise pour s'avilir à l'ombre de la majorité.

M. Necker prédit ensuite l'élimination du tribunat, telle qu'elle eut lieu sous le consulat même. « Les tribuns y penseront à deux fois, dit-il, avant de se rendre importuns, avant » de s'exposer à déplaire à un sénat, qui doit > chaque année fixer leur sort politique, et les » perpétuer, ou non, dans leurs places. La

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>> constitution, donnant au sénat conservateur » le droit de renouveler tous les ans le corps législatif et le tribunat par cinquième, n'explique point de quelle manière l'opération » s'exécutera : elle ne dit point si le cinquième » qui devra faire place à un autre cinquième » sera déterminé par le sort ou par la désigna» tion arbitraire du sénat. On ne peut mettre >> en doute qu'à commencer de l'époque où un >> droit d'ancienneté s'établira, le cinquième » de première date ne soit désigné pour sortir » à la révolution de cinq années, et chacun des » autres cinquièmes dans ce même ordre de » rangs. Mais la question est encore très-im» portante, en l'appliquant seulement aux » membres du tribunat et du corps législatif, » choisis tous à la fois au moment de la con>>stitution; et si le sénat, sans recourir au » sort, s'arroge le droit de désigner à sa vo» lonté le cinquième qui devra sortir chaque >> année pendant cinq ans (c'est ce qu'il fit), » la liberté des opinions sera gênée dès à pré>> sent d'une manière très-puissante.

» C'est véritablement une singulière dispa» rate que le pouvoir donné au sénat conser» vateur, de faire sortir du tribunat qui bon » lui semble, jusques à la concurrence d'un

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