Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

>> recte de l'autorité suprême. Quels instrumens >> de choix pour la tyrannie! »

Ne diroit-on pas que M. Necker, écrivant ces paroles en 1802, prévoyoit ce que l'empereur a fait depuis de son conseil d'état ? Nous avons vu les fonctions de l'ordre judiciaire passer par degrés dans les mains de ce pouvoir administratif, sans responsabilité comme sans bornes; nous l'avons vu même usurper les attributions législatives; et ce divan n'avoit à redouter que son maître.

M. Necker, après avoir prouvé qu'il n'y avoit point de république en France sous le gouvernement consulaire, en conclut aisément que l'intention de Bonaparte étoit d'arriver à la royauté; et c'est alors qu'il développe, avec une force extrême, la difficulté d'établir une monarchie tempérée, sans avoir recours aux grands seigneurs déjà existans, et qui d'ordinaire sont inséparables d'un prince d'une ancienne race. La gloire militaire peut certainement tenir lieu d'ancêtres; elle agit plus vivement même sur l'imagination que les souvenirs: mais, comme il faut qu'un roi s'entoure des rangs supérieurs, il est impossible de trouver assez de citoyens illustres par leurs exploits, pour qu'une aristocratie toute nouvelle puisse servir de barrière à

l'autorité qui l'auroit créée. Les nations ne sont pas des Pygmalions qui adorent leur propre ouvrage, et le sénat, composé d'hommes nouveaux choisis dans une foule d'hommes pareils, ne se sentoit pas de force, et n'inspiroit pas de respect.

[ocr errors]

Écoutons, sur ce sujet, les propres paroles de M. Necker; elles s'appliquent à la chambre des pairs, telle qu'on la fit improviser par Bonaparte en 1815; elles s'appliquent surtout au gouvernement militaire de Napoléon, qui étoit pourtant bien loin, en 1802, d'être établi comme nous l'avons vu depuis. « Si donc, ou par une révo>>lution politique, ou par une révolution dans l'opinion, vous aviez perdu les élémens >>ductifs des grands seigneurs, considérez-vous » comme ayant perdu les élémens productifs de » la monarchie héréditaire tempérée, et tour>> nez vos regards., fût-ce avec peine, vers un » autre ordre social.

pro

>> Je ne crois pas que Bonaparte lui-même, » avec son talent, avec son génie, avec toute » sa puissance, pût venir à bout d'établir en » France, aujourd'hui, une monarchie hérédi»taire tempérée. C'est une opinion bien im>> portante; voici mes motifs : qu'on juge.

» Je fais observer auparavant que cette opi

P

>> nion est contraire à ce que nous avons enten» du répéter après l'élection de Bonaparte. Voilà » la France, disoit-on, qui va se reprendre au » gouvernement d'un seul, c'est un point de » gagné pour la monarchie. Mais la monarchie. Mais que signifient » de telles paroles? rien du tout; car nous ne >> voulons pas parler indifféremment de la mo>> narchie élective ou héréditaire, despotique >> ou tempérée, mais uniquement de la monar>> chie héréditaire tempérée; et sans doute que » le gouvernement d'un prince de l'Asie, le >> premier qu'on voudra nommer, est plus dis>>tinct de la monarchie d'Angleterre que la ré » publique américaine.

» Il est un moyen étranger aux idées répu »blicaines, étranger aux principes de la mo»narchie tempérée, et dont on peut se servir » pour fonder et pour soutenir un gouverne»ment héréditaire. C'est le même qui introdui» sit, qui perpétua l'empire dans les grandes » familles de Rome, les Jules, les Claudiens, » les Flaviens, et qui servit ensuite à renverser » leur autorité. C'est la force militaire, les pré»toriens, les armées de l'Orient et de l'Occi» dent. Dieu garde la France d'une semblable » destinée ! »

Quelle prophétie ! Si je suis revenue plu

[ocr errors]

sieurs fois sur le mérite singulier qu'a eu M. Necker dans ses ouvrages politiques, de prédire les événemens, c'est pour montrer comment un homme très-versé dans la science des constitutions peut connoître d'avance leurs résultats. On a beaucoup dit en France que les constitutions ne signifioient rien, et que les circonstances étoient tout. Les adorateurs de l'arbitraire doivent parler ainsi, mais c'est une assertion aussi fausse que servile.

L'irritation de Bonaparte fût très-vive à la publication de cet ouvrage, parce qu'il signaloit d'avance ses projets les plus chers, et ceux que le ridicule pouvoit le plus facilement atteindre. Sphinx d'un nouveau genre, c'étoit contre celui qui devinoit ses énigmes que se tournoit sa fureur. La considération tirée de la gloire militaire peut, il est vrai, suppléer à tout; mais un empire fondé sur les hasards des batailles ne suffisoit pas à l'ambition de Bonaparte, car il vouloit établir sa dynastie, bien qu'il ne pût de son vivant supporter que sa propre grandeur.

Le consul Lebrun écrivit à M, Necker, sous la dictée de Bonaparte, une lettre où toute l'arrogance des préjugés anciens étoit combinée avec la rude âpreté du nouveau despotisme. On У accusoit aussi M. Necker d'être l'auteur

du doublement du tiers, d'avoir toujours le même système de constitution, etc. Les ennemis del a liberté tiennent tous le même langage, bien qu'ils partent d'une situation très-différente. On conseilloit ensuite à M. Necker de ne plus se mêler de politique, et de s'en remettre au premier consul, seul capable de bien gouverner la France: ainsi les despotes trouvent toujours les penseurs de trop dans les affaires. Le consul finissoit en déclarant que moi, fille de M. Necker, je serois exilée de Paris, précisément à cause des Dernières vues de politique et de finances publiées par mon père.

J'ai mérité depuis, je l'espère, cet exil aussi pour moi-même; mais Bonaparte, qui se donnoit la peine de connoître pour mieux blesser, vouloit troubler l'intimité de notre vie domestique, en me représentant mon père comme l'auteur de mon exil. Cette réflexion frappa mon père, qui ne repoussoit jamais un scrupule; mais, grâce au ciel, il a pu s'assurer qu'elle n'approchoit pas un instant de moi.

Une chose très-remarquable dans le dernier ouvrage politique de M. Necker, peut-être supérieur encore à tous les autres, c'est qu'après avoir combattu dans les précédens avec beaucoup de force le système républicain en France,

« VorigeDoorgaan »