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çut, quatre jours après son arrivée, une lettre de cachet qui l'exiloit, pour le punir d'avoir donné la consolation de sa présence à une amie de vingt-cinq années. Je ne sais ce que je n'aurois pas fait dans ce moment pour éviter une telle douleur. Dans le même temps, madame Récamier, qui n'avoit avec la politique d'autres rapports que son intérêt courageux pour les proscrits de toutes les opinions, vint aussi me voir à Coppet, où nous nous étions déjà plusieurs fois réunies; et, le croiroit-on ? la plus belle femme de France, une personne qui à ce titre auroit trouvé partout des défenseurs, fut exilée parce qu'elle étoit venue dans le château d'une amie malheureuse à cent cinquante lieues de Paris. Cette coalition de deux femmes établies sur le bord du lac de Genève, parut trop redoutable au maître du monde, et il se donna le ridicule de les persécuter. Mais il avoit dit une fois : La puissance n'est jamais ridicule, et certes il a bien mis à l'épreuve cette maxime.

Combien n'a-t-on pas vu de familles divisées par la frayeur que causoient les moindres rapports avec les exilés? Dans le commencement de la tyrannie, quelques actes de courage se font remarquer; mais par degrés le chagrin

altère les sentimens, les contrariétés fatiguent, l'on vient à penser que les disgrâces de ses amis sont causées par leurs propres fautes. Les sages de la famille se rassemblent pour dire qu'il ne faut pas trop communiquer avec madame ou monsieur un tel; leurs excellens sentimens, assure-t-on, ne sauroient se mettre en doute; mais leur imagination est si vive! En vérité, l'on proclameroit volontiers tous ces pauvres proscrits de grands poëtes, à condition que leur imprudence ne permît pas de les voir ni de leur écrire. Ainsi l'amitié, l'amour même, se glacent dans tous les cœurs; les qualités intimes tombent avec les vertus publiques; on ne s'aime plus entre soi, après avoir cessé d'ai mer la patrie; et l'on apprend seulement à se servir d'un langage hypocrite, qui contient le blâme doucereux des personnes en défaveur, l'apologie adroite des gens puissans, et la doctrine cachée de l'égoïsme.

Bonaparte avoit plus que tout autre le secret de faire naître ce froid isolement qui ne lui présentoit les hommes qu'un à un, et jamais réunis. Il ne vouloit pas qu'un seul individu de son temps existât par lui-même, qu'on se mariât, qu'on eût de la fortune, qu'on choisit un séjour, qu'on exerçât un talent, qu'une résolu

tion quelconque se prît sans sa permission; et, chose singulière, il entroit dans les moindres détails des relations de chaque individu, de manière à réunir l'empire du conquérant à une inquisition de commérage, s'il est permis de s'exprimer ainsi, et de tenir entre ses mains les fils les plus déliés comme les chaînes les plus fortes.

La question métaphysique du libre arbitre de l'homme étoit devenue très-inutile sous le règne de Bonaparte; car personne ne pouvoit plus suivre en rien sa propre volonté, dans les plus grandes comme dans les plus petites cir

constances.

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CHAPITRE IX.

Des derniers jours de M. Necker.

Je ne parlerois point du sentiment que m'a laissé la perte de mon père, si ce n'étoit pas un moyen de plus de le faire connoître. Quand les opinions politiques d'un homme d'état sont encore à beaucoup d'égards l'objet des débats du monde, il ne faut rien négliger pour donner aux principes de cet homme la sanction de son caractère. Or, quelle plus grande garantie peuton en offrir que l'impression qu'il a produite sur les personnes le plus à portée de le juger? Il y a maintenant douze années que la mort m'a séparée de mon père, et chaque jour mon admiration pour lui s'est accrue; le souvenir que j'ai conservé de son esprit et de ses vertus me sert de point de comparaison pour apprécier ce que peuvent valoir les autres hommes; et, quoique j'aie parcouru l'Europe entière, jamais un génie de cette trempe, jamais une moralité de cette vigueur ne s'est offerte à moi. M. Necker pouvoit être foible par bonté, incertain à force de réfléchir; mais, quand il

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eroyoit le devoir intéressé dans une résolution, il lui sembloit entendre la voix de Dieu; et, quoi qu'on pût tenter alors pour l'ébranler, il n'écoutoit jamais qu'elle. J'ai plus de confiance encore aujourd'hui dans la moindre de ses paroles, que je n'en aurois dans aucun individu existant, quelque supérieur qu'il pût être ; tout ce que m'a dit M. Necker est ferme en moi comme le rocher; tout ce que j'ai gagné par moi-même peut disparoître ; l'identité de mon être est dans l'attachement que je garde à sa mémoire. J'ai aimé qui je n'aime plus, j'ai estimé qui je n'estime plus; le flot de la vie a tout emporté, excepté cette grande ombre qui est là sur le sommet de la montagne, et qui me montre du doigt la vie

à venir.

Je ne dois de reconnoissance véritable sur cette terre qu'à Dieu et à mon père; tout le reste de mes jours s'est passé dans la lutte; lui seul y a répandu sa bénédiction. Mais combien n'at-il pas souffert ! La prospérité la plus brillante avoit signalé la moitié de sa vie : il étoit devenu riche; il avoit été nommé premier ministre de France; l'attachement sans bornes des François l'avoit récompensé de son dévouement pour eux pendant les sept années de sa première retraite, ses ouvrages avoient été placés au pre

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