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qu'ils avoient illustrés par tant d'exploits, il frauda, pour ainsi dire, les droits de la renommée, et resta seul, comme il le vouloit, en possession de la gloire militaire de la France.

Ce n'étoit pas assez d'avoir avili le parti républicain en le dénaturant tout entier; Bonaparte voulut encore ôter aux royalistes la dignité qu'ils devoient à leur persévérance et à leur malheur. Il fit occuper la plupart des charges de sa maison par des nobles de l'ancien régime; il

flattoit ainsi la nouvelle race en la mêlant avec la vieille, et lui-même aussi, réunissant les vanités d'un parvenu aux facultés gigantesques d'un conquérant, il aimoit les flatteries des courtisans d'autrefois, parce qu'ils s'entendoient mieux à cet art que les hommes nouveaux, même les plus empressés. Chaque fois qu'un gentilhomme de l'ancienne cour rappeloit l'étiquette du temps jadis, proposoit une révérence de plus, une certaine façon de frapper à la porte de quelque antichambre, une manière plus cérémonieuse de présenter une dépêche, de plier une lettre, de la terminer par telle ou telle formule, il étoit accueilli comme s'il avoit fait faire des progrès au bonheur de l'espèce humaine. Le code de l'étiquette impériale est le document le plus remarquable de la bassesse à laquelle on

peut réduire l'espèce humaine. Les machiavélistes diront que c'est ainsi qu'il faut tromper les hommes; mais est-il vrai que, de nos jours, on trompe les hommes? On obéissoit à Bonaparte, ne cessons de le répéter, parce qu'il donnoit de la gloire militaire à la France. Que ce fût bon ou mauvais, c'étoit un fait clair et sans mensonge. Mais toutes les farces chinoises qu'il faisoit jouer devant son char de triomphe ne plaisoient qu'à ses serviteurs, qu'il auroit pu mener de cent autres manières, si cela lui avoit convenu. Bonaparte a souvent pris sa cour pour son empire; il aimoit mieux qu'on le traitât comme un prince que comme un héros : peutêtre, au fond de son âme, se sentoit-il encore plus de droits au premier de ces titres qu'au second.

Les partisans des Stuarts, lorsqu'on offroit la royauté à Cromwell, s'appuyèrent sur les principes des amis de la liberté pour s'y opposer, et ce n'est qu'à l'époque de la restauration qu'ils reprirent la doctrine du pouvoir absolu; mais au moins restèrent-ils fidèles à l'ancienne dynastie. Une grande partie de la noblesse françoise s'est précipitée dans les cours de Bonaparte et de sa famille. Lorsqu'on reprochoit à un homme du plus grand nom, de s'être fait

chambellan d'une des nouvelles princesses : Mais que voulez-vous? disoit-il, il faut bien servir quelqu'un. Quelle réponse! Et toute la condamnation des gouvernemens, fondés sur l'esprit de cour, n'y est-elle pas renfermée?

La noblesse angloise eut bien plus de dignité dans les troubles civils; car elle ne commit deux fautes énormes dont les gen

pas

tilshommes françois peuvent difficilement se disculper: l'une, de s'être réunis aux étrangers contre leur propre pays; l'autre, d'avoir accepté des places dans le palais d'un homme qui, d'après leurs maximes, n'avoit aucun droit au trône; ; car l'élection du peuple, à supposer que Bonaparte pût s'en vanter, n'étoit pas à leurs yeux un titre légitime. Certes, il ne leur est pas permis d'être intolérans après de telles preuves de condescendance; et l'on offense moins, ce me semble, l'illustre famille des Bourbons, en souhaitant des limites constitutionnelles à l'autorité du trône, qu'en ayant accepté des places auprès d'un nouveau souverain souillé par l'assassinat d'un jeune guerrier de l'ancienne race.

La noblesse françoise qui a servi Bonaparte dans les emplois du palais, prétendroit-elle y avoir été contrainte? Bien plus de pétitions

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encore ont été refusées que de places données; et ceux qui n'ont pas voulu se soumettre aux désirs de Bonaparte à cet égard, ne furent point forcés à faire partie de sa cour. Adrien et Mathieu de Montmorency, dont le nom et le caractère attiroient les regards, Elzear de Sabran, le duc et la duchesse de Duras, plusieurs autres encore, quoique pas en grand nombre, n'ont point voulu des emplois offerts par Bonaparte; et, bien qu'il fallût du courage pour résister à ce torrent qui emporte tout en France dans le sens du pouvoir, ces courageuses personnes ont maintenu leur fierté, sans être obligées de renoncer à leur patrie. En général, ne pas faire est presque toujours possible, et il faut que cela soit ainsi, puisque rien n'est une excuse pour agir contre ses principes.

Il n'en est pas assurément des nobles françois qui se sont battus dans les armées comme des courtisans personnels de la dynastie de Bonaparte. Les guerriers, quels qu'ils soient, peuvent présenter mille excuses, et mieux que des excuses, suivant les motifs qui les ont déterminés, et la conduite qu'ils ont tenue. Car, enfin, dans toutes les époques de la révolution, il a existé une France; et, certes, les pre

miers devoirs d'un citoyen sont toujours envers

sa patrie.

Jamais homme n'a su multiplier les liens de la dépendance plus habilement que Bonaparte.. Il connoissoit mieux que personne les grands et les petits moyens du despotisme; on le voyoit s'occuper avec persévérance de la toilette des femmes, afin que leurs époux, ruinés par leurs dépenses, fussent plus souvent obligés de recourir à lui. Il vouloit aussi frapper l'imagination des François par la pompe de sa cour. Le vieux soldat qui fumoit à la porte de Frédéric II suffisoit pour le faire respecter de toute l'Europe. Certainement Bonaparte avoit assez de talens militaires pour obtenir le même résultat par les mêmes moyens; mais il ne lui suffisoit pas d'être le maître, il vouloit encore être le tyran; et, pour opprimer l'Europe et la France, il falloit avoir recours à tous les moyens qui avilissent l'espèce humaine : aussi, le malheureux n'y a-t-il que trop bien réussi !

La balance des motifs humains pour faire le bien ou le mal est d'ordinaire en équilibre dans la vie, et c'est la conscience qui décide. Mais quand sous Bonaparte un milliard de revenus, et huit cent mille hommes armés pesoient en faveur des mauvaises actions, quand l'épée

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