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des mers, le conduisoit où il vouloit, nécessitoit le voyage aux Indes comme la paix la plus raisonnable, si tout à coup il lui convenoit de la signer. Enfin il avoit dans ces mots de ralliement un singulier avantage, celui d'animer les esprits sans les diriger contre le pouvoir. M. de Gentz et M. A. W. de Schlegel, dans leurs écrits sur le système continental, ont parfaitement traité les avantages et les inconvéniens de l'ascendant maritime de l'Angleterre, lorsque l'Europe est dans sa situation ordinaire. Mais au moins est-il certain que cet ascendant balançoit seul, il y a quelques années, la domination de Bonaparte, et qu'il ne seroit pas resté peut-être un coin de la terre pour y échapper, si l'océan anglois n'avoit pas entouré le continent de ses bras protecteurs.

Mais, dira-t-on, tout en admirant l'Angleterre, la France doit toujours être rivale de sa puissance, et de tout temps ses chefs ont essayé de la combattre. Il n'est qu'un moyen d'égaler l'Angleterre, c'est de l'imiter. Si Bonaparte, au lieu d'imaginer cette ridicule comédie de descente, qui n'a servi que de sujet aux caricatures angloises, et ce blocus continental, plus sérieux, mais aussi plus funeste; si Bonaparte n'avoit voulu conquérir sur l'An

gleterre que sa constitution et son industrie, la France auroit aujourd'hui un

commerce

fondé sur le crédit, un crédit fondé sur la représentation nationale et sur la stabilité qu'elle donne. Mais le ministère anglois sait malheureusement trop bien qu'une monarchie constitutionnelle est le seul moyen, et tout-à-fait le seul, d'assurer à la France une prospérité durable. Quand Louis XIV luttoit avec succès sur les mers contre les flottes angloises, c'est que les richesses financières des deux pays étoient alors à peu près les mêmes; mais, depuis quatrevingts ou cent ans que la liberté s'est consolidée en Angleterre, la France ne peut se mettre en équilibre avec elle que par des garanties légales de la même nature. Au lieu de prendre cette vérité pour boussole, qu'a fait Bonaparte?

La gigantesque idée du blocus continental ressembloit à une espèce de croisade européenne contre l'Angleterre, dont le sceptre de Napoléon étoit le signe de ralliement. Mais si, dans l'intérieur, l'exclusion des marchandises angloises a donné quelque encouragement aux manufactures, les ports ont été déserts et le commerce anéanti. Rien n'a rendu Napoléon plus impopulaire que ce renchérissement du sucre et du café qui portoit sur les habitudes

journalières de toutes les classes. En faisant brûler, dans les villes de sa dépendance, depuis Hambourg jusqu'à Naples, les produits de l'industrie angloise, il révoltoit tous les témoins de ces actes de foi en l'honneur du despotisme. J'ai vu sur la place publique, à Genève, de pauvres femmes se jeter à genoux devant le bûcher où l'on brûloit des marchandises, en suppliant qu'on leur permît d'arracher à temps aux flammes quelques morceaux de toile ou de drap pour vêtir leurs enfans dans la misère: de pareilles scènes devoient se renouveler partout; mais, quoique les hommes d'état dans le genre ironique répétassent alors qu'elles ne signifioient rien, elles étoient le tableau vivant d'une absurdité tyrannique, le blocus continental. Qu'est-il résulté des terribles anathèmes de Bonaparte? La puissance de l'Angleterre s'est accrue dans les quatre parties du monde, son influence sur les gouvernemens étrangers a été sans bornes, et elle devoit l'être, vu la grandeur du mal dont elle préservoit l'Europe. Bonaparte, qu'on persiste à nommer habile, a pourtant trouvé l'art maladroit de multiplier partout les ressources de ses adversaires, et d'augmenter tellement celles de l'Angleterre en particulier, qu'il n'a pu réussir à lui faire qu'un seul mal

peut-être, il est vrai le plus grand de tous, celui d'accroître ses forces militaires à un tel degré, qu'on pourroit craindre pour sa liberté, si l'on ne se fioit pas à son esprit public.

On

ne peut nier qu'il ne soit très-naturel que la France envie la prospérité de l'Angleterre ; et ce sentiment l'a portée à se laisser tromper sur quelques-uns des essais de Bonaparte pour élever l'industrie françoise à la hauteur de celle d'Angleterre. Mais est-ce par des prohibitions armées qu'on crée de la richesse ? La volonté des souverains ne sauroit plus diriger le système industriel et commercial des nations: il faut les laisser aller à leur développement naturel, et seconder leurs intérêts selon leurs vœux. Mais de même qu'une femme, pour s'irriter des hommages offerts à sa rivale, n'en obtient pas davantage elle-même, une nation, en fait de commerce et d'industrie, ne peut l'emporter qu'en sachant attirer les tributs volontaires, et non en proscrivant la concurrence.

Les gazetiers officiels étoient chargés d'insulter la nation et le gouvernement anglois; dans les feuilles de chaque jour d'absurdes dénominations, telles que celles de perfides insulaires, de marchands avides, étoient sans cesse répétées avec des variations qui ne devoient pour

tant pas trop s'éloigner du texte. On est remonté dans quelques écrits jusqu'à Guillaume-le-Conquérant pour qualifier de révolte la bataille de Hastings, et l'ignorance facilitoit à la bassesse les plus misérables calomnies. Les journalistes de Bonaparte, auxquels nul ne pouvoit répondre, ont défiguré l'histoire, les institutions et le caractère de la nation angloise. C'est encore un des fléaux de l'esclavage de la presse : la France les a tous subis.

Comme Bonaparte se respectoit lui-même plus que ceux qui lui étoient soumis, il se permettoit quelquefois dans la conversation de dire assez de bien de l'Angleterre, soit qu'il voulût préparer les esprits pour le cas où il lui conviendroit de traiter avec le gouvernement anglois, soit plutôt qu'il aimât à s'affranchir un moment du faux langage qu'il commandoit à ses serviteurs. C'étoit le cas de dire : Faisons mentir nos gens.

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