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pouvoit diriger les lois contre ses adversaires comme une batterie ? L'assemblée constituante ne persécuta jamais ni les individus, ni les classes; mais l'assemblée suivante ne fit que des décrets de circonstance, et l'on ne sauroit guère citer une résolution prise par elle, qui pût durer au-delà du moment qui l'avoit dictée.

L'arbitraire, contre lequel la révolution devoit être dirigée, avoit acquis une nouvelle force par cette révolution même ; en vain prétendoit-on tout faire pour le peuple : les révolutionnaires n'étoient plus que les prêtres d'un dieu Moloch, appelé l'intérêt de tous, qui demandoit le sacrifice du bonheur de chacun. En politique persécuter ne mène à rien, qu'à la nécessité de persécuter encore; et 'tuer, ce n'est pas détruire. On a dit, avec une atroce intention, que les morts seuls ne reviennent pas; et cette maxime n'est pas même vraie, car les enfans et les amis des victimes sont plus forts par les ressentimens que ne l'étoient par leurs opinions ceux même qu'on a fait périr. Il faut éteindre les haines et non pas les comprimer. La réforme est accomplie dans un pays quand on a su rendre les adversaires de cette réforme fastidieux, mais non victimes.

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CHAPITRE V.

De la première guerre entre la France et l'Europe.

On ne doit pas s'étonner que les rois et les princes n'aient jamais aimé les principes de la révolution françoise. C'est mon métier, à moi, d'être royaliste, disoit Joseph II. Mais comme l'opinion des peuples pénètre toujours dans le cabinet des rois, au commencement de la révolution, lorsqu'il ne s'agissoit que d'établir une monarchie limitée, aucun monarque de l'Europe ne songeoit sérieusement à faire la guerre à la France pour s'y opposer. Le progrès des lumières étoit tel dans toutes les parties du monde civilisé, qu'alors, comme aujourd'hui, un gouvernement représentatif, plus ou moins semblable à celui de l'Angleterre, paroissoit convenable et juste; et ce système ne rencontroit point d'adversaires imposans parmi les Anglois, ni parmi les Allemands. Burke, dès l'année 1791, exprima son indignation contre les crimes déjà commis en France, et contre les faux systèmes de politique qu'on y avoit adoptés; mais ceux du parti aristocrate qui, sur le çonti

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nent, citent aujourd'hui Burke comme l'ennemi de la révolution, ignorent peut-être qu'à chaque page il reproche aux François de ne s'être pas conformés aux principes de la constitution d'Angleterre.

« Je recommande aux François notre con>> stitution, dit-il; tout notre bonheur vient » d'elle. La démocratie absolue, dit-il ail>> leurs (1), n'est pas plus un gouvernement légitime que la monarchie absolue. Il n'y a (2) » qu'une opinion en France contre la monar>> chie absolue; elle étoit à sa fin, elle expiroit >> sans agonie et sans convulsions; toutes les » dissensions sont venues de la querelle entré » une démocratie despotique et un gouverne»ment balancé. »

Si la majorité de l'Europe, en 1789, approuvoit l'établissement d'une monarchie limitée en France, d'où vient donc, dira-t-on, que dès l'année 1791 toutes les provocations sont venues du dehors? Car bien que la France ait imprudemment déclaré la guerre à l'Autriche en 1792, dans le fait les puissances étrangères se sont montrées, les premières, ennemies des

(1) OEuvres de Burke, vol. III, pag. 179.
(2) Pag. 185.

François par la convention de Pilnitz, et les rassemblemens de Coblentz. Les récriminations réciproques doivent remonter jusqu'à cette époque. Toutefois l'opinion européenne et la sagesse de l'Autriche auroient prévenu la guerre, si l'assemblée législative eût été modérée. La plus grande précision dans la connoissance des. dates est nécessaire pour juger avec impartialité qui, de l'Europe ou de la France, a été l'agresseur. Six mois plus tard rendent sage en politique ce qui ne l'étoit pas six mois plus tôt, et souvent on confond les idées, parce qu'on a confondu les temps.

Les puissances eurent tort, en 1791, de se laisser entraîner aux mesures imprudentes conseillées par les émigrés. Mais après le 10 août 1792, quand le trône fut renversé, l'état des choses en France devint tout-à-fait inconciliable avec l'ordre social. Ce trône, toutefois, ne se seroit-il pas maintenu, si l'Europe n'avoit pas menacé la France d'intervenir à main armée dans ses débats intérieurs, et révolté la fierté d'une nation indépendante, en lui imposant des lois? La destinée seule a le secret de semblables suppositions: une chose est incontestable ; c'est que la convention de Pilnitz a commencé la longue guerre européenne. Or les jacobins désiroient

cette guerre aussi vivement que les émigrés :

car les uns et les autres croyoient qu'une crise quelconque pourroit seule amener les chances dont ils avoient besoin pour triompher.

Au commencement de 1792, avant la déclaration de guerre, Léopold, empereur d'Allemagne, l'un des princes les plus éclairés dont le dix-huitième siècle puisse se vanter, écrivit à l'assemblée législative une lettre, pour ainsi dire, intime. Quelques députés de l'assemblée constituante, Barnave, Duport, l'avoient composée, et le modèle en fut envoyé par la reine à Bruxelles à M. le comte de Mercy-Argenteau, qui avoit été long-temps ambassadeur d'Autriche à Paris. Léopold attaquoit dans cette lettre nominativement le parti des jacobins, et offroit son appui aux constitutionnels. Ce qu'il disoit étoit sans doute éminemment sage; mais on ne trouva pas convenable que l'empereur d'Allemagne entrât dans de si grands détails sur les affaires de France, et les députés se révoltèrent contre les conseils que leur donnoit un monarque étranger. Léopold avoit gouverné la Toscane avec une parfaite modération, et l'on doit lui rendre la justice que toujours il avoit respecté l'opinion publique et les lumières du siècle. Ainsi donc il crut de bonne foi au bien

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