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Il ne faut pas l'oublier, l'armée françoise a été admirable pendant les dix premières années de la guerre de la révolution. Les qualités qui manquoient aux hommes employés dans la carrière civile, on les retrouvoit dans les militaires: persévérance, dévouement, audace et même bonté, quand l'impétuosité de l'attaque n'altéroit pas leur caractère naturel. Les soldats et les officiers se faisoient souvent aimer dans les pays étrangers, lors même que leurs armes y avoient fait du mal; non-seulement ils bravoient la mort avec cette incroyable énergie qu'on retrouvera toujours dans leur sang et dans leur cœur, mais ils supportoient les plus affreuses privations avec une sérénité sans exemple. Cette légèreté, dont on accuse avec raison les François dans les affaires politiques, devenoit respectable quand elle se transformoit en insouciance du danger, en insouciance même de la douleur. Les soldats françois sourioient au milieu des situations les plus

cruelles, et se ranimoient encore dans les angoisses de la souffrance, soit par un sentiment d'enthousiasme pour leur patrie, soit par un bon mot qui faisoit revivre cette gaieté spirituelle à laquelle les dernières classes même de la société sont toujours sensibles en France.

La révolution avoit perfectionné singulièrement l'art funeste du recrutement; mais le bien qu'elle avoit fait en rendant tous les grades accessibles au mérite, excita dans l'armée françoise une émulation sans bornes. C'est à ces principes de liberté que Bonaparte a dû les ressources dont il s'est servi contre la liberté même. Bientôt l'armée, sous Napoléon, ne conserva guère de ses vertus populaires que son admirable valeur et un noble sentiment d'orgueil national; combien elle étoit déchue toutefois, quand elle se battoit pour un homme, tandis que ses devanciers, tandis que ses vétérans même, dix ans plus tôt, ne s'étoient dévoués qu'à la patrie! Bientôt aussi les troupes de presque toutes les

nations continentales furent forcées à combattre sous les étendards de la France. Quel sentiment patriotique pouvoit animer les Allemands, les Hollandois, les Italiens, quand rien ne leur garantissoit l'indépendance de leur pays, ou plutôt quand son asservissement pesoit

TOME II.

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sur eux ? Ils n'avoient de commun entre eux qu'un même chef, et c'est pour cela que rien n'étoit moins solide que leur association; car l'enthousiasme pour un homme, quel qu'il soit, est nécessairement variable; l'amour seul de la patrie et de la liberté ne peut changer, parce qu'il est désintéressé dans son principe. Ce qui faisoit le prestige de Napoléon, c'étoit l'idée qu'on avoit de sa fortune; l'attachement à lui n'étoit que l'attachement à soì. L'on croyoit aux avantages de tout genre qu'on obtiendroit sous ses drapeaux, et comme il jugeoit à merveille le mérite militaire, et savoit le récompenser, le plus simple soldat de l'armée pouvoit nourrir l'espoir de devenir maréchal de France. Les titres, la naissance, les services de courtisan, influoient peu sur l'avancement dans l'armée. Il existoit là, malgré le despotisme du gouvernement, un esprit d'égalité, parce que Bonaparte avoit besoin de force, et qu'il n'en peut exister sans un certain degré d'indépendance. Aussi, sous le règne de l'empereur, ce qui valoit encore le mieux, c'étoit certainement l'armée. Les commissaires qui frappoient les pays conquis de contributions, d'emprison nemens, d'exils; ces nuées d'agens civils venoient, comme les vautours, fondre sur

le

champ de bataille, après la victoire, ont fait détester les François bien plus que ces pauvres braves conscrits qui passoient de l'enfance à la mort, en croyant défendre leur patri. C'est aux hommes profonds dans l'art militaire qu'il appartient de prononcer sur les talens de Bonaparte comme capitaine. Mais, à ne juger de lui sous ce rapport que par les observations à la portée de tout le monde, il me semble que son ardent égoïsme a peut-être contribué à ses premiers triomphes comme à ses derniers revers. Il lui manquoit dans la carrière des araussi bien que dans toutes les autres, ce respect pour les hommes, et ce sentiment du devoir, sans lesquels rien de grand n'est durable.

mes,

Bonaparte, comme général, n'a jamais ménagé le sang de ses troupes : c'est en prodiguant la foule des soldats que la révolution lui avoit valus, qu'il a remporté ses étonnantes victoires. Il a marché sans magasins, ce qui rendoit ses mouvemens singulièrement rapides, mais doubloit les maux de la les guerre pour pays qui en étoient le théâtre. Enfin, il n'y a pas jusqu'à son genre de manoeuvres militaires, qui ne soit en rapport quelconque avec le reste de son caractère; il risque toujours le tout pour le tout,

comptant sur les fautes de ses ennemis qu'il méprise, et prêt à sacrifier ses partisans dont il ne se soucie guère, s'il n'obtient pas avec eux la victoire.

On l'a vu dans la guerre d'Autriche, en 1809, quitter l'île de Lobau, quand il jugeoit la bataille perdue; il traversa le Danube, seul avec M. de Czernitchef, l'un des intrépides aides de camp de l'empereur de Russie, et le maréchal Berthier. L'empereur leur dit assez tranquillement qu'après avoir gagné quarante batailles, il n'étoit pas extraordinaire d'en per dre une; et, lorsqu'il fut arrivé de l'autre côté du fleuve, il se coucha et dormit jusqu'au lendemain matin, sans s'informer du sort de l'armée françoise, que ses généraux sauvèrent pendant son sommeil. Quel singulier trait de caractère ! Et cependant il n'est point d'homme plus actif, plus audacieux dans la plupart des occasions importantes. Mais on diroit qu'il ne sait naviguer qu'avec un vent favorable, et que le malheur le glace tout à coup, comme sil avoit fait un pacte magique avec la fortune, et qu'il ne pût marcher sans elle..

La postérité, déjà même beaucoup de nos contemporains, objecteront aux

antagonistes de Bonaparte, l'enthousiasme qu'il inspiroit à

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