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son armée. Nous traiterons ce sujet aussi impartialement qu'il nous sera possible, quand nous serons arrivés au funeste retour de l'île d'Elbe. Que Bonaparte fût un homme d'un génie transcendant à beaucoup d'égards, qui pourroit le nier? Il voyoit aussi loin que la connoissance du mal peut s'étendre; mais il y a quelque chose par-delà, c'est la région du bien. Les talens militaires ne sont pas toujours la preuve d'un esprit supérieur; beaucoup de hasards peuvent servir dans cette carrière ; d'ailleurs, le genre de coup d'œil qu'il faut pour conduire les hommes sur le champ de bataille, ne ressemble point à l'intime vue qu'exige l'art de gouverner. L'un des plus grands malheurs de l'espèce humaine, c'est l'impression que les succès de la force produisent sur les esprits; et néanmoins il n'y aura ni liberté, ni morale dans le monde, si l'on n'arrive pas à ne considérer une bataille que d'après la bonté de la cause et l'utilité du résultat, comme tout autre fait de ce monde.

L'un des plus grands maux que Bonaparte ait faits à la France, c'est d'avoir donné le goût du luxe à ces guerriers, qui se contentoient si bien de la gloire, dans les jours où la nation étoit

encore vivante. Un intrépide maréchal, couvert de blessures, et impatient d'en recevoir encore, demandoit pour son hôtel, un lit tellement chargé de dorures et de broderies, qu'on ne pouvoit trouver dans tout Paris de quoi satisfaire son désir : Eh bien, dit-il alors dans sa mauvaise humeur, donnez-moi une botte de paille, et je dormirai très-bien dessus. En effet, il n'y avoit point d'intervalle pour ces hommes entre la pompe des Mille et une Nuits, et la vie rigide à laquelle ils étoient accoutumés.

Il faut accuser encore Bonaparte d'avoir altéré le caractère françois, en le formant aux habitudes de dissimulation dont il donnoit l'exemple. Plusieurs chefs militaires sont devenus diplomates à l'école de Napoléon, capables de cacher leurs véritables opinions, d'étudier les circonstances et de s'y plier. Leur bravoure est restée la même, mais tout le reste a changé. Les officiers attachés de plus près à l'empereur, loin d'avoir conservé l'aménité fran- . çoise, étoient devenus froids, circonspects, dédaigneux; ils saluoient de la tête, parloient peu, et sembloient partager le mépris de leur maître pour la race humaine. Les soldats ont toujours des mouvemens généreux et naturels ; mais la doctrine de l'obéissance passive que des partis

opposés dans leurs intérêts, bien que d'accord dans leurs maximes, ont in troduite parmi les chefs de l'armée, a nécessairement altéré ce qu'il y avoit de grand et de patriote dans les troupes françoises.

La force armée doit être, dit-on, essentiellement obéissante. Cela est vrai sur le champ de bataille, en présence de l'ennemi, et sous le rapport de la discipline militaire. Mais les François pouvoient-ils et devoient-ils ignorer qu'ils immoloient une nation en Espagne? Pouvoient-ils et devoient-ils ignorer qu'ils ne défendoient pas leurs foyers à Moscou, et que l'Europe n'étoit en armes que parce que Bonaparte avoit su se servir successivement de chacun des pays qui la composent pour l'asservir tout entière? On voudroit faire des militaires une sorte de corporation en dehors de la nation, et qui ne pût jamais s'unir avec elle. Ainsi les malheureux peuples auroient toujours deux ennemis, leurs propres troupes et celles des étrangers, puisque toutes les vertus des citoyens seroient interdites aux guerriers.

L'armée d'Angleterre est aussi soumise à la discipline que celle des états les plus absolus de l'Europe; mais les officiers n'en font pas

des

moins usage de leur raison, soit comme citoyens en se mêlant, de retour chez eux, intérêts publics de leur pays; soit comme militaires, en connoissant et respectant l'empire de la loi dans ce qui les concerne. Jamais un officier anglois n'arrêteroit un individu, ni ne tireroit même sur le peuple en émeute, que d'après les formes voulues par la constitution. Il y a intention de despotisme toutes les fois qu'on veut interdire aux hommes l'usage de la raison que Dieu leur a donnée. Il suffit, dira-t-on, d'obéir à son serment; mais qu'y a-t-il qui exige plus l'emploi de la raison que la connoissance des devoirs attachés à ce serment même? Penseroit-on que celui qu'on avoit prêté à Bonaparte pût obliger aucun officier à enlever le duc d'Enghien sur la terre étrangère qui devoit lui servir d'asile ? Toutes les fois qu'on établit des maximes anti-libérales, c'est pour s'en servir comme d'une batterie contre ses adversaires;

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mais à condition que ces adversaires ne les retournent pas contre nous. Il n'y a que les lumières et la justice dont on n'ait rien à craindre dans aucun parti. Qu'arrive-t-il enfin de cette maxime emphatique : L'armée ne doit pas juger, mais obéir? C'est que l'armée, dans les troubles civils, dispose toujours du sort des empires;

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pas

mais seulement elle en dispose mal, parce qu'on lui a interdit l'usage de sa raison. C'est par une suite de cette obéissance aveugle à ses chefs, dont on avoit fait un devoir à l'armée françoise, qu'elle a maintenu le gouvernement de Bonaparte: combien ne l'a-t-on pas blàmée cependant de ne l'avoir pas renversé ! Les corps civils, pour se justifier de leur servilité envers l'empereur, s'en prenoient à l'armée ; et il est facile de faire dire dans la même phrase aux partisans du pouvoir absolu, qui ne sont d'ordinaire forts en logique, d'abord, que les militaires ne doivent jamais avoir d'opinion sur rien en politique, et puis, qu'ils ont été bien coupables de se prêter aux guerres injustes de Bonaparte. Certes, ceux qui versent leur sang pour l'état, ont bien un peu le droit de savoir si c'est de l'état dont il s'agit quand ils se battent. Il ne s'ensuit pas que l'armée puisse être le gouvernement: Dieu nous en préserve! Mais, si l'armée doit se tenir à part des affaires publiques dans tout ce qui concerne leur direction habituelle, la liberté du pays n'en est pas moins sous sa sauvegarde; et, quand le despotisme s'en empare, il faut qu'elle se refuse à le soutenir. Quoi! dira-t-on, vous voulez que l'armée délibère? Si vous appelez délibérer, connoître son

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