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devoir et se servir de ses facultés pour l'accomplir, je répondrai que, si vous défendez aujourd'hui de raisonner contre vos ordres, vous trouverez mauvais demain qu'on n'ait pas raisonné contre ceux d'un autre; tous les partis qui exigent, en matière de politique comme en matière de foi, qu'on renonce à l'exercice de sa pensée, veulent seulement que l'on pense comme eux, quoi qu'il arrive; et cependant, quand on transforme les soldats en machines, si ces machines cèdent à la force, on n'a pas le droit de s'en plaindre. L'on ne sauroit se passer de l'opinion des hommes pour les gouverner. L'armée, comme toute autre association, doit savoir qu'elle fait partie d'un état libre, et défendre envers et contre tous la constitution légalement établie. L'armée françoise peut-elle ne pas se repentir amèrement aujourd'hui de cette obéissance aveugle envers son chef qui a perdu la France? Si les soldats n'avoient pas cessé d'être des citoyens, ils seroient encore les soutiens de leur patrie.

Il faut en convenir toutefois, et de bon cœur, c'est une funeste invention que les troupes de ligne; et, si l'on pouvoit les supprimer à la fois dans toute l'Europe, l'espèce humaine auroit fait un grand pas vers le perfectionnement de

l'ordre social. Si Bonaparte s'étoit arrêté après quelques-unes de ses victoires, son nom et celui des armées françoises produisoient alors un tel effet, qu'il auroit pu se contenter des gardes nationales pour la défense du Rhin et des Alpes. Tout ce qu'il y a de bien dans les choses humaines a été en sa puissance; mais la leçon qu'il devoit donner au monde étoit d'une autre

nature.

Lors de la dernière invasion de la France, un général des alliés a déclaré qu'il feroit fusiller tout François simple citoyen, qui seroit trouvé les armes à la main; des généraux françois avoient eu quelquefois le même tort en Allemagne : et cependant les soldats des armées de ligne sont beaucoup plus étrangers au sort de la guerre défensive, que les habitans du pays. S'il étoit vrai, comme le disoit ce général, qu'il ne fût pas permis aux citoyens de se défendre contre les troupes réglées, tous les Espagnols seroient coupables, et l'Europe obéiroit encore à Bonaparte; car, il ne faut pas l'oublier, ce sont les simples habitans de l'Espagne qui ont commencé la lutte; ce sont eux qui, les premiers, ont pensé que les probabilités du succès n'étoient de rien dans le devoir de la résistance. Aucun de ces Espa

gnols, et, quelque temps après, aucun des paysans russes ne faisoit partie d'une armée de ligne; et ils n'en étoient que plus respectables, en combattant pour l'indépendance de leur pays.

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CHAPITRE XV.

De la législation et de l'administration sous Bonaparte.

On n'a point encore assez caractérisé l'arbitraire sans bornes, et la corruption sans pudeur du gouvernement civil sous Bonaparte. On pourroit crotre qu'après le torrent d'injures auquel on s'abandonne toujours en France contre les vaincus, il ne peut rester sur une puissance renversée aucun mal à dire, que les flatteurs du règne suivant n'aient épuisé. Mais comme on vouloit ménager la doctrine du despotisme, tout en attaquant Bonaparte; comme un grand nombre de ceux qui l'injurient aujourd'hui l'avoient loué la veille, il falloit, pour mettre quelque accord dans une conduite où il n'y avoit de conséquent que la bassesse, attaquer l'homme au-delà même de ce qu'il mérite, et néanmoins se taire, à beaucoup d'égards, sur un système dont on vouloit se servir encore. Le plus grand crime de Napoléon toutefois, celui pour lequel tous les penseurs, tous les écrivains dispensateurs de la gloire dans la posté

rité, ne cesseront de l'accuser auprès de l'espèce humaine, c'est l'établissement et l'organisation' du despotisme. Il l'a fondé sur l'immoralité; car les lumières qui existoient en France étoient telles, que le pouvoir absolu ne pouvoit s'y maintenir que par la dépravation, tandis qu'ailleurs il subsiste par l'ignorance.

Peut-on parler de législation dans un pays où la volonté d'un seul homme décidoit de tout; où cet homme, mobile et agité comme les flots de la mer pendant la tempête, ne pouvoit pas même supporter la barrière de sa propre volonté, si on lui opposoit celle de la veille, quand il avoit envie d'en changer le lendemain? Une fois un de ses conseillers d'état s'avisa de lui représenter que le Code Napoléon s'opposoit à la résolution qu'il alloit prendre. Eh bien! dit-il, le Code Napoléon a été fait pour le salut du peuple; et, si ce salut exige d'autres mesures, il faut les prendre. Quel prétexte pour une puissance illimitée que celui du salut public! Robespierre a bien fait d'appeler ainsi son gouvernement. Peu de temps après la mort du duc d'Enghien, lorsque Bonaparte étoit peutêtre encore troublé dans le fond de son âme par Phorreur que cet assassinat avoit inspirée, il dit, en parlant de littérature avec un artiste

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