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très-capable de la bien juger : « La raison d'é>> tat, voyez-vous, a remplacé chez les mo» dernes le fatalisme des anciens. Corneille est » le seul des tragiques françois qui ait senti » cette vérité. S'il avoit vécu de mon temps, je >> l'aurois fait mon premier ministre. »

11 y avoit deux sortes d'instrumens du pouvoir impérial, les lois et les décrets. Les lois étoient sanctionnées par le simulacre d'un corps législatif; mais c'étoit dans les décrets émanés directement de l'empereur, et discutés dans son conseil, que consistoit la véritable action de l'autorité. Napoléon abandonnoit aux beaux parleurs du conseil d'état, et aux députés muets du corps législatif, la délibération et la décision de quelques questions abstraites en fait de jurisprudence, afin de donner à son gouvernement un faux air de sagesse philosophique. Mais, quand il s'agissoit des lois relatives à l'exercice du pouvoir, alors toutes les exceptions comme toutes les règles ressortissoient à l'empereur, Dans le Code Napoléon, et même dans le Code d'Instruction criminelle, il est resté de très-bons principes, dérivés de l'assemblée constituante l'institution du jury, ancre d'espoir de la France, et divers perfectionnemens dans la procédure, qui l'ont sortie

des ténèbres où elle étoit avant la révolution, et où elle est encore dans plusieurs états de l'Europe. Mais qu'importoient les institutions légales, puisque des tribunaux extraordinaires nommés par l'empereur, des cours spéciales, des commissions militaires jugeoient tous les délits politiques, c'est-à-dire, ceux qui ont le plus besoin de l'égide invariable de la loi ? Nous montrerons dans le volume suivant combien, dans ces procès politiques, les Anglois ont multiplié les précautions, afin de mettre la justice plus sûrement à l'abri du pouvoir. Quels exemples n'a-t-on pas vus, sous Bonaparte, de ces tribunaux extraordinaires qui devenoient habituels! car, dès qu'on se permet un acte arbitraire, ce poison s'insinue dans toutes les affaires de l'état. Des exécutions rapides et ténébreuses n'ont-elles pas souillé le sol de la France? Le Code militaire ne se mêle que trop, d'ordinaire, au Code civil dans tous les pays, l'Angleterre exceptée; mais il suffisoit sous Bonaparte d'être accusé d'embauchage, pour être traduit devant les commissions militaires; et c'est ainsi que le duc d'Enghien a été jugé. Bonaparte n'a pas permis une seule fois qu'un homme pût avoir recours, pour un délit politique, à la décision du jury. Le général Mo

reau et ses coacusés en ont été privés ; mais ils eurent heureusement affaire à des juges qui respectoient leur conscience. Ces juges n'ont pu cependant prévenir les iniquités qui se commirent dans cette horrible procédure, et la torture fut introduite de nouveau dans le dix-neuvième siècle par un chef national, dont le pouvoir devoit émaner de l'opinion.

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Il étoit difficile de distinguer la législation de l'administration sous le règne de Napoléon, car l'une et l'autre dépendoient également de l'autorité suprême, Cependant nous ferons une, observation principale sur ce sujet. Toutes les fois que les améliorations possibles dans les diverses branches du gouvernement ne portoient en rien atteinte au pouvoir de Bonaparte, et que ces améliorations, au contraire, contribuoient à ses plans et à sa gloire, il faisoit, pqur les accomplir, un usage habile des immenses ressources que lui donnoit la domination de presque toute l'Europe; et, comme il possédoit un grand tact pour connoître parmi les hommes ceux qui pouvoient lui servir d'instrumens, il employoit presque toujours des têtes très-propres aux affaires dont il les chargeoit. L'on doit au gouvernement impérial les musées des arts et les embellissemens de Paris, des 24...

TOME II.

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grands chemins, des canaux qui facilitoient les communications des départemens entre eux; enfin, tout ce qui pouvoit frapper l'imagination, en montrant, comme dans le Simplon et le Mont-Cénis, que la nature obéissoit à Napoléon presque aussi docilement que les hommes. Ces prodiges divers se sont opérés parce qu'il pouvoit porter sur chaque point en particulier les tributs et le travail de quatre-vingts millions d'hommes; mais les rois d'Égypte et les empereurs romains ont eu sous ce rapport d'aussi grands titres à la gloire. Ce qui constitue le développement moral des peuples, dans quel pays Bonaparte s'en est-il occupé? Et que de moyens, au contraire, n'a-t-il pas employés en France pour étouffer l'esprit public qui s'étoit accru malgré les mauvais gouvernemens enfantés par les passions?

Toutes les autorités locales, dans les provin

ces,

ont été par degrés supprimées ou annulées; il n'y a plus en France qu'un seul foyer de mouvement, Paris; et l'instruction qui naît de l'émulation a dépéri dans les provinces, tandis que la négligence avec laquelle on entretenoit les écoles, achévoit de consolider l'ignorance si bien d'accord avec la servitude. Cependant, comme les hommes qui ont de l'esprit éprou

vent le besoin de s'en servir, tous ceux qui avoient quelque talent ont été bien vite dans la capitale pour tâcher d'obtenir des places. De là vient cette fureur d'être employé par l'é tat et pensionné par lui, qui avilit et dévore la France. Si l'on avoit quelque chose à faire chez soi, si l'on pouvoit se mêler de l'admi→ nistration de sa ville et de son département; si l'on avoit occasion de s'y rendre utile, d'y mériter de la considération, et de s'assurer parla l'espoir d'être un jour élu député, l'on' ne 'verroit pas aborder à Paris quiconque peut se flatter de l'emporter sur ses concurrens par une' intrigue ou par une flatterie de plus.

Aucun emploi n'étoit laissé au choix libre des citoyens. Bonaparte se complaisoit à rendre lui-même des décrets sur des nominations d'huissiers, datés des premières capitales de F'Europe. Il vouloit se montrer comme présent partout, comme suffisant à tout, comme le seul être gouvernant dans le monde. Toute-> fois un homme ne sauroit parvenir à se multiplier à cet excès que par le charlatanisme, car la réalité du pouvoir tombe toujours entre les mains des agens subalternes qui exercent‹ lea despotisme en détail. Dans un pays où il n'y a ni corps intermédiaire indépendant, ni liberté

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