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de la presse, ce qu'un despote, de l'esprit même le plus supérieur, ne parvient jamais à savoir, c'est la vérité qui pourroit lui déplaire.

Le commerce, le crédit, tout ce qui demande une action spontanée dans la nation, et une garantie certaine contre les caprices du gouvernement, ne s'adaptoit point au système de Bonaparte. Les contributions des pays étrangers en étoient la seule base. On respectoit as sez la dette publique, ce qui donnoit une apparence de bonne foi au gouvernement, sans le gêner beaucoup, vu la petitesse de la somme. Mais les autres créanciers du trésor public savoient que d'être payé ou de ne l'être pas, devoit être considéré comme une chance dans la quelle ce qui entroit le moins, c'étoit leur droit. Aussi personne n'imaginoit-il de prêter rien à l'état, quelque puissant que fût son chef, et précisément parce qu'il étoit trop puissant. Les dé crets révolutionnaires que quinze ans de troubles avoient entassés, étoient pris ou laissés se lon la décision du moment. Il y avoit presque toujours sur chaque affaire une loi pour et contre, que les ministres appliquoient selon leur convenance. Des sophismes qui n'étoient que de luxe, puisque l'autorité pouvoit tout, jus

tifioient tour à tour les mesures les plus opposées.

Quel indigne établissement que celui de la police! Cette inquisition politique, dans les temps modernes, a pris la place de l'inquisition religieuse. Étoit-il aimé, le chef qui avoit besoin de faire peser sur la nation un esclavage pareil? Il se servoit des uns pour accuser les autres, et se vantoit de mettre en pratique cette vieille maxime de diviser pour commander, qui, grâces aux progrès de la raison, n'est plus qu'une ruse bien facilement découverte. Le revenu de cette police étoit digne de son emploi. C'étoient les jeux de Paris qui l'entretenoient : elle soudoyoit le vice avec l'argent du vice qui la payoît. Elle échappoit à l'animadversion publique par le mystère dont elle s'enveloppoit; mais, quand le hasard faisoit mettre au jour un procès où les agens de police se trouvoient mêlés de quelque manière, peut-on se représenter quelque chose de plus dégoûtant, de plus perfide et de plus bas que les disputes qui s'élevoient entre ces misérables? Tantôt ils déclaroient qu'ils avoient professé une opinion pour en servir secrètement une opposée; tantôt ils se vantoient des embûches qu'ils avoient dressées aux mécontens pour les engager à conspirer, afin de les trahir

s'ils conspiroient; et l'on a reçu la déposition d'hommes semblables devant les tribunaux! L'invention malheureuse de cette police s'est tournée depuis contre les partisans de Bonaparte à leur tour : n'ont-ils pas dû penser que

c'étoit le taureau de Phalaris dont ils subissoient 'eux-mêmes le supplice après en avoir conçu la funeste idée?

CHAPITRE XVI.

De la littérature sous Bonaparte.

CETTE même police, pour laquelle nous n'avons pas de termes assez méprisans, pas de termes qui puissent mettre assez de distance entre un honnête homme et quiconque pouvoit entrer dans une telle caverne, c'étoit elle que Bonaparte avoit chargée de diriger l'esprit. public en France : et, en effet, dès qu'il n'y a pas de liberté de la presse, et que la censure de la police ne s'en tient pas à réprimer, mais dicte à tout un peuple les opinions qu'il doit avoir sur la politique, sur la religion, sur les mœurs, sur les livres, sur les individus, dans quel état doit tomber une nation qui n'a d'autre nourriture pour ses pensées, que celle que permet ou prépare l'autorité despotique ! Il ne faut donc pas s'étonner si en France la littérature et la critique littéraire sont déchues à un tel point. Ce n'est pas certainement qu'il y ait nulle part plus d'esprit et plus d'aptitude à tout que chez les François. On peut voir quels progrès étonnans ils ne cessent de faire

dans les sciences et dans l'érudition, parce que ces deux carrières ne touchent en aucune façon à la politique ; tandis que la littérature ne peut rien produire de grand maintenant sans la liberté. On objecte toujours les chefs-d'œuvre du siècle de Louis XIV; mais l'esclavage de la presse étoit beaucoup moins sévère sous ce souverain que sous Bonaparte. Vers la fin du règne de Louis XIV, Fénélon et d'autres penseurs traitoient déjà les questions essentielles aux intérêts de la société. Le génie poétique s'épuise dans chaque pays tour à tour, et ce n'est qu'après de certains intervalles qu'il peut renaître; mais l'art d'écrire en prose, inséparable de la pensée, embrasse nécessairement toute la sphère philosophique des idées ; et, quand on condamne des hommes de lettres à tourner dans le cercle des madrigaux et des idylles, on leur donne aisément le vertige de la flatterie : ils ne peuvent rien produire qui dépasse les faubourgs de la capitale et les bornes du temps présent.

La tâche imposée aux écrivains sous Bonaparte étoit singulièrement difficile. Il falloit qu'ils combattissent avec acharnement les principes libéraux de la révolution; mais qu'ils en respectassent tous les intérêts, de façon que la

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