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liberté fût anéantie, mais que les titres, les biens et les emplois des révolutionnaires fussent consacrés. Bonaparte disoit un jour, en parlant de J.-J. Rousseau : C'est pourtant lui qui a été la cause de la révolution. Au reste, je ne dois pas m'en plaindre, car j'y ai attrapé le trône. C'étoit ce langage qui devoit servir de texte aux écrivains, pour saper sans relâche les lois constitutionnelles, et les droits imprescriptibles sur lesquels ces lois sont fondées mais pour exalter le conquérant despote que les orages de la révolution avoient produit, et qui les avoit calmés. S'agissoit-il de la religion, Bonaparte faisoit mettre sérieusement dans ses proclamations, que les François doivent se défier des Anglois, parce qu'ils étoient des hérétiques; mais voùloit-il justifier les persécutions que subissoit le plus vénérable et le plus modéré des chefs de l'église, le pape Pie VII, il l'accusoit de fanatisme. La consigne étoit de dénoncer, comme partisan de l'anarchie, quiconque émettoit une opinion philosophique en aucun genre: mais si quelqu'un, parmi les nobles, sembloit insinuer que les anciens princes s'entendoient mieux que les nouveaux à la dignité des cours, on ne manquoit pas de le signaler comme un conspirateur. Enfin, il falloit

repousser ce qu'il y avoit de bon dans chaque manière de voir, afin de composer le pire des fléaux humains, la tyrannie dans un pays civilisé.

Quelques écrivains ont essayé de faire une théorie abstraite du despotisme, afin de le recrépir, pour ainsi dire, de façon à lui donner un air de nouveauté philosophique. D'autres, du parti des parvenus, se sont plongés dans le machiavélisme, comme s'il y avoit là de la profóndeur, et ils ont présenté le pouvoir des hommes de la révolution comme une garantie suffisante contre le retour des anciens gouvernemens: comme s'il n'y avoit que des intérêts dans ce monde, et que la direction de l'espèce humaine n'eût rien de commun avec la vertu. Il n'est resté de ces tours d'adresse qu'une certaine combinaison de phrases, sans l'appui d'aucune idée vraie, et néanmoins construites comme il le faut grammaticalement, avec des verbes, des nominatifs et des accusatifs. Le papier souffre tout, disoit un homme d'esprit. Sans doute il souffre tout, mais les hommages ne gardent point le souvenir des sophismes, et fort heureusement pour la dignité de la littérature, aucun monument de cet art généreux ne peut s'élever sur de fausses bases. Il faut des accens de

vérité pour être éloquent, il faut des principes justes pour raisonner, il faut du courage d'àme pour avoir des élans de génie ; et rien de semblable ne peut se trouver dans ces écrivains qui suivent à tout vent la direction'de la force.

Les journaux étoient remplis des adresses à l'empereur, des promenades de l'empereur, de celles des princes et des princesses, des étiquettes et des présentations à la cour. Ces journaux, fidèles à l'esprit de servitude, trouvoient le moyen d'être fades à l'époque du bouleversement du monde; et, sans les bulletins officiels qui venoient de temps en temps nous apprendre que la moitié de l'Europe étoit conquise, on auroit pu croire qu'on vivoit sous des berceaux de fleurs, et qu'on n'avoit rien de mieux à faire que de compter les pas des Majestés et des Altesses Impériales, et de répéter les paroles gracieuses qu'elles avoient bien voulu laisser tomber sur la tête de leurs sujets prosternés. Est-ce ainsi que les hommes de lettres, que les magistrats de la pensée, doivent se conduire en présence de la postérité ?

Quelques personnes cependant ont tenté d'imprimer des livres sous la censure de la police; mais qu'en arrivoit-il? une persécution comme celle qui m'a forcée de m'enfuir par

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Moscou pour chercher un asile en Angleterre. Le libraire Palm a été fusillé en Allemagne pour n'avoir pas voulu nommer l'auteur d'une brochure qu'il avoit imprimée. Et, si des exemples plus nombreux encore de proscriptions ne peuvent être cités, c'est que le despotisme étoit si fortement mis en exécution, qu'on avoit fini par s'y soumettre, comme aux terribles lois de la nature, la maladie et la mort. Ce n'est pas seulement à des rigueurs sans fin qu'on s'exposoit sous une tyrannie aussi persévérante, mais on ne pouvoit jouir d'aucune gloire littéraire dans son pays, quand les journaux aussi multipliés que sous un gouvernement libre, et néanmoins soumis tous au même langage, vous harceloient de leurs plaisanteries de commande. J'ai fourni pour ma part des refrains continuels aux journalistes françois depuis quinze ans : la mélancolie du Nord, la perfectibilité de l'espèce humaine, les muses romantiques, les muses germaniques. Le joug de l'autorité et l'esprit d'imitation étoient imposés à la littérature, comme le Journal officiel dictoit les articles de foi en politique. Un bon instinct de despo tisme faisoit sentir aux agens de la police litté raire, que l'originalité dans la manière d'écrire peut conduire à l'indépendance du caractère,

381 et qu'il faut bien se garder de laisser introduire à Paris les livres des Anglois et des Allemands, si l'on ne veut pas que les écrivains françois, tout en respectant les règles du goût, suivent les progrès de l'esprit humain dans les pays où les troubles civils n'en ont pas ralenti la marche.

Enfin, de toutes les douleurs que l'esclavage de la presse fait éprouver, la plus amère, c'est de voir insulter dans les feuilles publiques ce qu'on a de plus cher, ce qu'on respecte le plus, sans qu'il soit possible de faire admettre une réponse dans ces mêmes gazettes qui sont nécessairement plus populaires que les livres. Quelle lâcheté dans ceux qui insultent les tombeaux, quand les amis des morts ne peuvent en prendre la défense! Quelle lâcheté dans ces folliculaires qui attaquoient aussi les vivans avec l'autorité derrière eux, et servoient d'avant-garde à toutes les proscriptions que le pouvoir absolu prodigue dès qu'on lui suggère le moindre soupçon! Quel style que celui qui porte le cachet de la police! A côté de cette arrogance, à côté de cette bassesse, quand on lisoit quelques discours des Américains ou des Anglois, des hommes publics enfin qui ne cherchent, en s'adressant aux autres hommes,

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