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tente de l'empereur pour lui demander ses ordres, et il ne leur étoit pas permis de s'y asseoir. Sa famille ne souffroit pas moins que les étrangers de son despotisme et de sa hauteur. Lucien a mieux aimé vivre prisonnier en Angleterre que régner sous les ordres de son frère. Louis Bonaparte, dont le caractère est généralement estimé, se vit contraint par sa probité même, à renoncer à la couronne de Hollande ; et le croiroit-on ? quand il causoit avec son frère pendant deux heures tête à tête, forcé par sa mauvaise santé de s'appuyer péniblement contre la muraille, Napoléon ne lui offroit pas une chaise ; il demeuroit lui-même debout, de crainte que quelqu'un n'eût l'idée de se familiariser assez avec lui pour s'asseoir en sa présence.

La peur qu'il causoit dans les derniers temps étoit telle, que personne ne lui adressoit le premier la parole sur rien. Quelquefois il s'entretenoit avec la plus grande simplicité au milieu de sa cour, et dans son conseil d'état. Il souffroit la contradiction, il y encourageoit même, quand il s'agissoit de questions administratives ou judiciaires sans relation avec son pouvoir. Il falloit voir alors l'attendrissement de ceux auxquels il avoit rendu pour un moment la respiration libre; mais, quand le maître re

paroissoit, on demandoit en vain aux ministres de présenter un rapport à l'empereur contre une mesure injuste. S'agissoit-il même de la victime d'une erreur, de quelque individu pris par hasard sous le grand filet tendu sur l'espèce humaine, les agens du pouvoir vous objectoient la difficulté de s'adresser à Napoléon, comme s'il eût été question du Grand Lama. Une telle stupeur causée par la puissance auroit fait rire, si l'état où se trouvoient les hommes sans appui sous ce despotisme, n'eût pas inspiré la plus profonde pitié.

Les complimens, les hymnes, les adorations sans nombre et sans mesure dont ses gazettes étoient remplies, devoient fatiguer un homme d'un esprit aussi transcendant; mais le despotisme de son caractère étoit plus fort que sa propre raison. Il aimoit moins les louanges vraies que les flatteries serviles, parce que, dans les unes, on n'auroit vu que son mérite, tandis que les autres attestoient son autorité. En général, il a préféré la puissance à la gloire; car l'action de la force lui plaisoit trop pour qu'il s'occupât de la postérité, sur laquelle on ne peut l'exercer. Mais un des résultats du pouvoir abşolu qui a le plus contribué à précipiter Bonaparte de son trône, c'est que, par degrés, l'on

n'osoit plus lui parler avec vérité sur rien. Il a fini par ignorer qu'il faisoit froid à Moscou, dès le mois de novembre, parce que personne, parmi ses courtisans, ne s'est trouvé assez romain pour oser lui dire une chose aussi simple.

En 1811, Napoléon avoit fait insérer, et désavouer en même temps, dans le Moniteur une note secrète, imprimée dans les journaux anglois, comme ayant été adressée par son ministre des affaires étrangères à l'ambassadeur de Russie. Il y étoit dit que l'Europe ne pouvoit être en paix tant que l'Angleterre et sa constitution subsisteroient. Que cette note fût authentique on non ; elle portoit du moins le cachet de l'école de Napoléon, et exprimoit certainement sa pensée. Un instinct, dont il ne pouvoit se rendre compte, lui apprenoit que, tant qu'il y auroit un foyer de justice et de liberté dans le monde, le tribunal qui devoit le condamner tenoit ses séances permanentes.

la

Bonaparte joignoit peut-être à la folle idée de guerre de Russie celle de la conquête de la Turquie, du retour en Égypte, et de quelques tentatives sur les établissemens des Anglois dans l'Inde; tels étoient les projets gigantesques avec lesquels il se rendit la première fois à Dresde, traînant après lui les armées de tout

le continent de l'Europe, qu'il obligeoit à marcher contre la puissante nation limitrophe de l'Asie. Les prétextes étoient de peu de chose pour un homme arrivé à un tel degré de pouvoir; cependant il falloit adopter sur l'expédition de Russie une phrase à donner aux courtisans, comme le mot d'ordre. Cette phrase étoit que la France se voyoit obligée de faire la guerre à la Russie, parce qu'elle n'observoit pas le blocus continental envers l'Angleterre. Or, pendant ce temps, Bonaparte luimême accordoit sans cesse à Paris des licences pour des échanges avec les négocians de Londres; et l'empereur de Russie auroit pu, à meilleur droit, lui déclarer la guerre, comnie manquant au traité par lequel ils s'étoient engagés réciproquement à ne point faire de commerce avec les Anglois. Mais qui se donneroit la peine aujourd'hui de justifier une telle guerre? Personne, pas même Bonaparte; car son respect pour le succès est tel, qu'il doit se condamner lui-même d'avoir encouru de si grands

revers.

Cependant le prestige de l'admiration et de la terreur que Napoléon inspiroit étoit si grand, que l'on n'avoit guère de doutes sur ses triomphes. Pendant qu'il étoit à Dresde, en 1812,

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environné de tous les souverains de l'Allemagne, et commandant une armée de cinq cent mille hommes, composée de presque toutes les nations européennes, il paroissoit impossible, d'après les calculs humains, que son expédition ne fût pas heureuse. En effet, dans sa chute, la Providence s'est montrée de plus près à la terre que dans tout autre événement, et les élémens ont été chargés de frapper les premiers le maître des hommes. On peut à peine se figurer aujourd'hui que, si Bonaparte avoit réussi dans son entreprise contre la Russie, il n'y avoit pas un coin de terre continentale où l'on pût lui échapper. Tous les ports étant fermés, le continent étoit comme la tour d'Ugolin, muré de toutes parts.

Menacée de la prison par un préfet très-docile au pouvoir, si je montrois la moindre intention de m'éloigner un jour de ma demeure, je m'échappai, lorsque Bonaparte étoit près d'entrer en Russie, craignant de ne plus trouver d'issue en Europe, si j'eusse différé plus long-temps. Je n'avois déjà plus que deux chemins pour aller en Angleterre. Constantinople ou Pétersbourg. La guerre entre la Russie et la Turquie rendoit la route par ce dernier pays presque impraticable; je ne savois ce que je deviendrois, quand l'empereur Alexandre vou

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