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offerte à Châtillon, au mois de mars 1814, c'est la première fois que l'idée d'un devoir auroit agi sur lui; et sa persévérance, en cette occasion, quelque imprudente qu'elle fût, mériteroit de l'estime. Mais il paroît plutôt qu'il a trop compté sur son talent après quelques succès en Champagne, et qu'il s'est caché à lui-même les difficultés qu'il avoit à surmonter, comme auroit pu le faire un de ses flatteurs. On étoit tellement accoutumé à le craindre, qu'on n'osoit pas lui dire les faits qui l'intéressoient le plus. Assuroit-il qu'il y avoit vingt mille François dans tel endroit, personne ne se sentoit le courage de lui apprendre qu'il n'y en avoit que dix mille; prétendoit-il que les alliés n'étoient qu'en tel nombre, nul ne se hasardoit à lui prouver que ce nombre étoit double. Son despotisme étoit tel, qu'il avoit réduit les hommes à n'être que des échos de lui-même, et que sa propre voix lui revenant de toutes parts, il étoit ainsi seul au milieu de la foule qui l'environnoit.

Enfin, il n'a pas vu que l'enthousiasme avoit passé de la rive gauche du Rhin à la rive droite; qu'il ne s'agissoit plus de gou vernemens indécis, mais de peuples irrités; et que de son côté, au contraire, il n'y avoit qu'une armée et plus de nation; car dans ce

grand débat la France est demeurée neutre: elle ne s'est pas doutée qu'il s'agissoit d'elle quand il s'agissoit de lui. Le peuple le plus guerrier a vu, presque avec insouciance, les succès de ces mêmes étrangers qu'il avoit combattus tant de fois avec gloire; et les habitans des villes et des campagnes n'aidèrent que foiblement les soldats françois, ne pouvant se persuader qu'après vingt-cinq ans de victoires, un événement inouï, l'entrée des alliés à Paris, pût arriver. Elle eut lieu cependant cette terrible justice de la destinée. Les coalisés furent généreux; Alexandre, ainsi que nous le verrons dans la suite, se montra toujours magnanime. Il entra le premier dans la ville conquise en sauveur tout-puissant, en philanthrope éclairé; mais, tout en l'admirant, qui pouvoit être François et ne pas sentir une effroyable douleur?

Du moment où les alliés passèrent le Rhin et pénétrèrent en France, il me semble que les voeux des amis de la France devoient être absolument changés. J'étois alors à Londres, et l'un des ministres anglois me demanda ce que je souhaitois? J'osai lui répondre que mon désir étoit que Bonaparte fût victorieux et tué. Je trouvai dans les Anglois assez de grandeur d'âme pour

n'avoir pas besoin de cacher ce sentiment françois devant eux : toutefois il me fallut apprendre, au milieu des transports de joie dont la ville des vainqueurs retentissoit, que Paris étoit au pouvoir des alliés; il me sembla dans cet instant qu'il n'y avoit plus de France je crus la prédiction de Burke accomplie, et que là où elle existoit on ne verroit plus qu'un abîme. L'empereur Alexandre, les alliés, et les principes constitutionnels adoptés par la sagesse de Louis XVIII, éloignèrent ce triste pressenti

ment.

Bonaparte entendit alors de toutes parts la vérité si long-temps captive. C'est alors que des courtisans ingrats méritèrent le mépris de leur maître pour l'espèce humaine. En effet, si les amis de la liberté respectent l'opinion, désirent la publicité, cherchent partout l'appui sincère et libre du vou national c'est parce qu'ils savent que la lie des âmes se montre seule dans les secrets et les intrigues du pouvoir arbitraire.

Il y avoit cependant encore de la grandeur dans les adieux de Napoléon à ses soldats et à leurs aigles si long-temps vainqueurs sa dernière campagne avoit été longue et savante; enfin le prestige funeste qui rattachoit à lui la

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gloire militaire de la France n'étoit pas encore détruit. Aussi le congrès de Paris a-t-il à se reprocher de l'avoir mis dans le cas de revenir. Les représentans de l'Europe doivent avouer franchement cette faute, et il est injuste de la faire porter à la nation françoise. C'est sans aucun mauvais dessein assurément, que les ministres des monarques étrangers ont laissé planer sur le trône de Louis XVIII un danger qui menaçoit également l'Europe entière. Mais pourquoi ceux qui ont suspendu cette épée ne s'accùsent-ils pas du mal qu'elle a fait?

Beaucoup de gens se plaisent à soutenir que, si Bonaparte n'avoit tenté ni l'expédition d'Es◄ pagne, ni celle de Russie, il seroit encore empereur; et cette opinion flatte les partisans du despotisme, qui veulent qu'un si beau gouvernement ne puisse pas être renversé par la nature même des choses, mais seulement par un accident. J'ai déjà dit ce que l'observation de la France confirmera, c'est que Bonaparte avoit besoin de la guerre pour établir et pour conserver le pouvoir absolu. Une grande nation n'auroit pas supporté le poids monotone et avilissant du despotisme, si la gloire militaire n'avoit pas sans cesse animé ou relevé l'esprit public. Les avancemens continuels dans les

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divers grades, auxquels toutes les classes de la nation pouvoient participer, rendoient la conscription moins pénible aux habitans de la campagne. L'intérêt continuel des victoires tenoit lieu de tous les autres; l'ambition étoit le principe actif du gouvernement dans ses moindres ramifications: titres, argent, puissance, Bonaparte donnoit tout aux François à la place de la liberté. Mais, pourêtre en état de leur dispenser ces dédommagemens funestes, il ne falloit pas moins que l'Europe à dévorer. Si Napoléon eût été ce qu'on pourroit appeler un tyran raisonnable, il n'auroit pu lutter contre l'activité des François, qui demandoit un but. C'étoit un homme condamné, par sa destinée, aux vertus de Washington ou aux conquêtes d'Attila ; mais il étoit plus facile d'atteindre les confins du monde civilisé, que d'arrêter les progrès de la raison humaine, et bientôt l'opinion de la France auroit accompli ce que les armes des alliés ont opéré.

Maintenant ce n'est plus lui qui seul occupera l'histoire dont nous voulons esquisser le tableau, et notre malheureuse France va de nouveau reparoître, après quinze ans pendant lesquels on n'avoit entendu parler que de l'empereur et de son armée. Quels revers nous

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