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combats des Grecs contre les Galates et contre les Amazones qu'Attalos avait consacrés sur l'Acropole montrent aux angles une Victoire portant un trophée d'armes celtiques qu'un scalp couronne, et que le même trophée se retrouve dans des sarcophages postérieurs, inspirés de ceux du Capitole.

2o Extension dans l'espace. Outre la diffusion résultant des textes précédemment cités, on retrouve les têtes coupées, d'une part, chez les Daces (colonne Trajane et coupe de Nagy Szent Miklos) et les Thraces leurs voisins (Liv. XLII, 60), et, surtout, chez les Scythes dont les coutumes à cet égard sont décrites par Hérodote avec une remarquable précision; d'autre part chez les Ibères (peut-être faut-il entendre les Celtibères) dès 409 (Diod. XIII, 57). Il faut ajouter, pour les Scordisques, l'usage de se servir comme coupe des crânes des ennemis tués (Florus, III, 4, 2; Ammien, XXVII, 4, 4; Orose, V, 25, 18), usage aussi constaté pour les Boïens (Liv. XXIII, 24 et Silius XIII, 481), qui les remplissent ou les enchâssent d'or comme les Scythes (Hérodote, IV, 26; Méla, II, 1, 9; Solin, 15 et 23), les Huns et les Bulgares; pour les Germains, l'usage de clouer aux arbres les têtes des vaincus (à Teutobourg, Tac. Ann., 1, 61; Florus IV, 12); pour les Alamans, les Vandales et les Goths la décollation et la décalvation rituelle (Jorn. Get. V; Grégoire, Ep. IX, 11).

L'existence et la diffusion du rite ainsi bien établies on peut en signaler quelques survivances dans la littérature. celtique. La tête coupée joue un grand rôle dans l'épopée des deux héros nationaux des Celtes d'outre Manche, le Gallois Brann et l'Irlandais Cuchulainn. Pour Brânn c'est l'histoire de sa tête qui, après sa mort, continue à converser et à festoyer avec les siens comme si elle n'était pas détachée du corps et qui joue un rôle de fétiche (cf. l'Urdawl Penn dans les Mabinogion et l'Uthr Penn dans le livre de Taliéssin). Quant à Cuchulâinn il emporte en trophée les têtes des ennemis qu'il a tués (cf. dans le Taîn bo Cualnge, trad. d'Arbois, Revue Celtique, 1907, p. 170; 1908, p. 156). Jusque dans l'épopée anglo-saxonne l'importance de la tête coupée

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reparaît avec l'épisode de la tête de Grendel dans le poème de Beowulf. Il faut rapprocher de ces légendes le souvenir de la grande idole irlandaise que saint Patrick, d'un coup de sa crosse, aurait enfoncée en terre jusqu'au cou ; son nom de Penn Cruach, la tête sanglante est suffisamment significatif; il lui vient de ce qu'on lui sacrifiait des victimes humaines comme aux Fomôré ou Goborchind, démons à tête de chèvre. Cette idole évoque ainsi les images du dieu gaulois accroupi à tête couronnée d'une ramure de cervidé, Kernunnos, qui est parfois représenté réduit à la tête, qu'elle soit unique ou triple. Et l'on doit se demander si la vogue en France du grand saint céphalophore, saint Denys, n'est pas due à une lointaine survivance du tricéphale gaulois sa tête passe au moyen âge pour un talisman aux portes de Paris comme celle de Brânn à Londres.

II

Nous sommes amenés ainsi des textes aux monuments. Les plus anciens sont les monnaies de la Gaule de l'Ouest qui peuvent remonter au iv s. Les unes représentent une tête coupée isolée au-dessus ou au-dessous d'un cheval bondissant (Véliocasses, Lémoviques); les autres une sorte de couronne de petites têtes rattachées par une chaîne à une grande tête échevelée qui occupe le milieu et semble une personnification du génie de la guerre (Namnètes, Pictons). Ce sont sans doute les modèles peints ou sculptés dont s'inspirent ces monnaies qui ont été interprétés plus tard à la façon de l'Ogmios que décrit Lucien il a vu un Hercule gaulois enchaînant les hommes par son éloquence là où il y avait en réalité le dieu implacable des batailles à qui on vouait les têtes coupées de l'ennemi.

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Ces monnaies ont pu réagir à leur tour sur les œuvres en bronze. Sur un fragment de situle trouvée dans l'Indre qui peut être comtemporain du dernier siècle d'indépendance de

la Gaule Cisalpine (11 s.), on voit deux têtes coupées incisées. autour d'un coursier bondissant (Breuil, Rev. arch., 1902, 1): une pièce semblable a pu inspirer l'artiste grec qui cisela pour un prince scythe du temps de Mithridate la plaque d'or où une tête coupée roule sous une panthère que monte Bacchus, bien qu'il songeait peut-être à la tête d'Orphée déchiré par les Ménades (Bapst, Gaz. arch., 1887). En Gaule même, à l'époque antérieure à la conquête romaine, les monuments qui intéressent les têtes coupées paraissent groupés au Sud: c'est, d'abord, sur un fragment de table de dolmen à Nantes, un personnage grossièrement sculpté qui paraît tenir trois têtes coupées (Espérandieu, Recueil, IV, 3009), puis l'espèce de menhir d'Hyères dont le cavalier tenant cinq têtes au bout de cordes peut remonter à l'époque des gravures du Lac des Merveilles (Recueil, I, 38), enfin, dans le Bigorre pyrénéen, qui n'est pas moins retardataire que les Alpes Ligures, une tête isolée sur l'angle d'un autel (Rev. arch. 1912, II, 229). Ces monuments amènent à celui d'Antremont (Recueil, 1, 107), le plus important de tous. De ce pilier dont trois faces sont sculptées, les trois blocs restant portent des reliefs qui doivent se rapporter à un des chefs du pays. Ce doit être un des rois Salyens qui combattirent contre Marseille vers 125 puisque Antremont fut leur place principale que remplaça en 121 la colonie romaine d'Aix après que Rome, alliée de Marseille, les eut vaincus. Sur la face principale, au bas, on voit le cavalier dont il commémore les hauts faits s'avançant, une tête coupée attachée au poitrail de son cheval; au milieu, le même cavalier répété deux fois chargeant; au haut, un duel de deux fantassins; sur les faces latérales des têtes coupées, trois sur la face gauche, six sur la face droite, s'égrenant comme un chapelet le long d'une draperie tordue qui représente peut-être le vêtement enlevé en trophée aux ennemis décapités par le vainqueur.

A Antremont encore, un bloc avec deux têtes de face aux yeux clos, identiques à une des paires qui se voient sur le pilier, doit provenir d'un monument analogue (Recueil, I,

108); un troisième a été signalé à Événos (Var). On arrive à l'époque romaine avec la portion de frise de Nages (Gard) où le motif du cavalier à la tête coupée est comme décomposé, deux têtes alternant avec deux chevaux courant (Recueil, 1, 515) et, surtout avec l'arc d'Orange: avec les six têtes fraîchement coupées que ses trophées présentent et ses deux déjà décharnées ainsi que ses neuf scalps, il atteste que César n'avait point interdit le double usage de la décollation et de la décalvation à ses auxiliaires gaulois lors du siège de Marseille que cet arc commémore. Son interdiction, que Strabon mentionne, doit appartenir à l'ensemble des mesures prises par Tibère contre les druides et leurs rites sanglants après cette révolte de Sacrovir à la suite de laquelle l'arc d'Orange paraît avoir été inauguré par Tibère. Pour continuer à rendre aux dieux l'hommage traditionnel des têtes coupées sans désobéir aux Romains et tout en flattant leur vanité, les GalloRomains paraissent avoir volontairement transformé leurs têtes grimaçantes en masques de Satyres. La transition est bien marquée sur l'un des autels de Paris (Recueil, IV, 3138); comparez aussi, - aux angles du couvercle des deux sarcophages cités du Capitole, les têtes de Gaulois de la Galatomachie avec les masques de Gorgones de l'Amazonomachie. De même, les Gallo - Romains semblent avoir identifié leur dieu de la guerre qui aimait à s'entourer de têtes humaines à l'Hercule gréco-romain: son aventure chez Busiris, confondue avec l'épisode de Géryon, pouvait fournir un prototype à ces images syncrétiques comme il paraît résulter du rapprochement des têtes négroïdes d'Alésia (Recueil, III, 2357) avec un fragment de terra sigillata de Soleure. Les têtes qui grimaçaient dans les affres de la mort purent continuer à entourer les temples sous les traits des masques de Gorgones ou de Satyres. Bien des têtes grotesques qu'affectionnent les imagiers de nos églises du Moyen-Age ont pu avoir leur origine dans ces compromis gallo-romains entre le masque comique ou grimaçant et les têtes de morts.

III

Ainsi, par les textes et les légendes, les monnaies et les sculptures, l'importance du rite est mise en lumière. Reste à le situer dans la série des rites du même ordre et à l'expliquer. De l'ensemble des textes qui parlent du sort fait par les Gaulois aux prises de guerre, il résulte qu'ils vouaient souvent à leur dieu de la guerre, toute l'armée ennemie, choses et gens, et que, en ce cas, les prisonniers étaient mis à mort, de préférence par pendaison ou crucifiement aux arbres sacrés; les animaux immolés dans les flammes; les objets, ou brûlés dans un bûcher rituel, ou jetés dans une eau sainte, ou simplement entassés dans un enclos consacré, réservé à cet usage par chaque cité. Si la cité avait un temple au lieu d'un simple téménos, on pouvait y suspendre en trophées des armes prises ou y conserver en reliques des têtes ou des crânes coupés. Lorsque des guerriers emportaient une tête et des dépouilles, c'étaient celles de l'ennemi qu'ils avaient tué en combat singulier; sans doute aussi n'y avait-il pas eu dévotion de l'armée ennemie on procédait alors à un partage du butin avec part réservée pour les dieux.

Si les chevaliers gaulois laissaient à leurs écuyers les armes et les dépouilles et se contentaient de la tête de l'ennemi vaincu, s'ils la portaient en triomphe au poitrail de leur cheval ou à la pointe de leur lance, s'ils la clouaient à la façade de leur demeure ou la conservaient dans des coffrets d'huile de cèdre, c'est qu'ils y attachaient une vertu singulière.

C'est la même qu'y attachent encore certains sauvages, les Indonésiens de Bornéo, des Moluques, de Formose, ceux de Torrès surtout dont Haddon a étudié les plus primitifs sous le nom expressif de Head-Hunters, ces Indiens Jibaros du Brésil pour qui rien n'est un fétiche plus précieux que la tête momifiée d'un ennemi, ces Peaux-Rouges de l'Amérique du Nord à la coutume bien connue de qui nous devons le terme

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