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J'aurois pu mettre en caractères Italiques prefque tous les vers de cette petite pièce, tant ils s'éloignent du goût d'Anacréon. Eft ce là fon tour d'efprit? Sont-ce là fes penfées ? Et peut-on s'en dire l'imitateur, quand on s'en écarte à ce point? Quel ftyle diffus & chevillé Les deux Poëtes n'ont rien de commun que le fujet qu'ils traitent ; ils vont ensemble par la même route; mais

l'un marche avec tout l'attirail de l'art le plus pefant, & l'autre avec toute la fimplicité de la plus belle Nature. Je ne relève ici que les fautes de reffemblance avec l'Original, fans m'arrêter aux fautes de poefie & de langage. Le choix même que notre Auteur a fait des vers de dix fyllabes, n'eft propre qu'à faire mieux fentir le charme des petits vers d'Anacréon. Ceux-ci femblent nés pour un léger badinage du cœur, & ceux-là pour un ouvrage férieux de l'efprit. La

mefure & la forme des vers contribuent

plus qu'on ne penfe au mérite de la Poëfie; c'eft à quoi nos jeunes Poëtes ne font pas affez d'attention. Tout le refte de l'Ouvrage de notre moderne Interprète et à peu près dans le même goût. Son imitation est une preuve nouvelle

Longepierre & la Foffe fes devanciers n'ont pas beaucoup mieux réuffi, quoiqu'ils paroiffent ne pas tant s'écarter de leur modèle, & que du moins ils s'attachent à le fuivre dans fes pensées. Mais la liberté qu'ils fe donnent de travailler en vers de différente mesure, rend auffi leur poëfie très-différente de celle d'Anacréon. Ils n'ont d'ailleurs ni graces, ni aménité. Voici du Longepierre.

Au milieu de la nuit, lorfque l'Ourse immortelle

Tourne deffous la main de fon Garde fidelle, Et que tous les humains, las des travaux du

jour,

Dans les bras du fommeil attendent fon retour: L'Amour vint heurter à ma porte.

Qui frappe, dis-je, de la forte ?

Et, troublant mon repos, diffipant fa douceur, Vient de mon fonge ainfi finir l'aimable erreur ? Ne craignez rien, dit-il, ouvrez fans défiance: Je fuis un pauvre Enfant, fans force & fans défense,

Et mouillé, friffonnant, &c.

On voit d'abord que tous ces grands yers flafques & trainans ne répondent

point aux vers badins de l'Original; qu'au contraire ils leur font diamétralement oppofés. Anacréon devient un Géant énorme qui marche avec pefanteur, & ce n'eft qu'un Berger aimable qui s'avance pour danfer & pour chanter. La Foffe ne le rend pas moins méconnoiffable :

Au milieu de la pluye & d'une obscure nuit, Quand tout dort dans les airs, fur la terre & dans l'onde,

L'autre jour à ma porte on vint faire du bruit. Du lit, où je dormois dans une paix profonde, Je crie, en furfaut réveillé,

Quel bruit fait-on là-bas ? &c.

Ce dernier vers donne envie de rire, & le début de cette petite pièce reffemble à celui d'un grand Poëme. Le

Nox erat, & placidum carpebant fessa Soporem Corpora per terras,

de Virgile, n'a pas plus de gravité.

Gacon n'a traduit Anacréon que pour avoir lieu de fe moquer de tous fes Confrères les Traducteurs. Comme il eft venu le dernier, il a profité de leurs

furpaffer de beaucoup, il a du moins le mérite d'avoir fait un affez joli Roman des Odes d'Anacréon. Les avantures du Poëte Grec y font enchainées par un fil hiftorique, & fes Odes viennent affez à propos par des circonftances qui

les amènent dans leur ordre naturel. Ses vers me paroiffent auffi en général plus coulans & plus faciles que ceux de tous les autres Traducteurs ou Imitateurs en vers, fans en excepter un feul. Mais la traduction Latine de Henry Etienne l'emporte infiniment, à mon gré, fur toutes les verfions Françoifes: elle eft en petits vers bien cadencés, qui répondent parfaitement aux vers Grecs. Voici le commencement de la troifiéme Ode: Nuper, filente nocte, Cùm jam rotatur Urfa Circà manum Boot&, Et corpus omne fomnos Feffum labore carpit; Supervenit, forefque

Meas Cupido pulfat.

Quis tundit oftium, inquam,
Turbaique fomniantem ? &c.

Je ne vous dis rien, Monfieur, de la

traduction en profe de Madame Dacier.

Vous fçavez qu'elle n'a pas mieux rendu les graces d'Anacréon que M. Dacier n'a rendu celles d'Horace.

Pour revenir au nouveau Copifte, il a terminé fon Ouvrage par une petite Comédie-Ballet en vers & en profe, qui a pour titre : ANACREON. Elle a quelque mérite par l'invention & le dialopar gue. C'est l'Amour, Bacchus & Terpficore qui fe difputent le cœur d'Anacréon dans les Champs Elysées. Le fortuné Vieillard les accorde tous trois, & réunit leurs plaifirs; ce qui peint affez heureusement le caractère de ce Poëte & celui de fes Poëfies. La Table, la Danfe & l'Amour en font l'ame & le fujet. Cette petite pièce finit par un Divertiffement en l'honneur d'Anacréon. Il y a des Couplets ingénieux dans le Vaudeville. L'Amour dit dans le premier Couplet :

Aimez, riante Jeuneffe ;

Livrez vos cœurs aux Amours;
Sous leurs aîles la Vieilleffe
Voit renaître les plus beaux jours.
La Nature, toujours sage,
Eft l'écho de la Raison;
Elle vous dit à tout âge,

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