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monarque, et la fierté nationale; le temps en développera successivement d'autres.

J'étois à Moscou un mois, jour pour jour,

avant que l'armée de Napoléon y entrât, et je n'osai m'y arrêter que peu de momens, craignant déjà son approche. En me promenant au haut du Kremlin, palais des anciens czars, qui domine sur l'immense capitale de la Russie et sur ses dix-huit cents églises, je pensois qu'il étoit donné à Bonaparte de voir les empires à ses pieds, comme Satan les offrit à notre Seigneur. Mais c'est lorsqu'il ne lui restoit plus rien à conquérir en Europe, que la destinée l'a saisi pour le faire tomber aussi rapidement qu'il étoit monté. Peut-être a-t-il appris depuis que, quels que soient les événemens des premières scènes, il existe une puissance de vertu qui reparoît toujours au cinquième acte des tragédies, comme chez les anciens un dieu tranchoit le nœud quand l'action en étoit digne.

La persévérance admirable de l'empereur Alexandre en refusant la paix que Bonaparte lui offroit, selon sa coutume quand il fut vainqueur ; l'énergie des Russes qui ont mis le feu à Moscou, pour que le martyre d'une ville sainte sauvât le monde chrétien, contribuèrent cer

tainement beaucoup aux revers que les troupes de Bonaparte ont éprouvés dans la retraite de Russie. Mais c'est le froid, ce froid de l'enfer tel qu'il est peint dans le Dante, qui pouvoit seul anéantir l'armée de Xerxès.

Nous qui avons le cœur françois, nous nous étions cependant habitués pendant les quinze années de la tyrannie de Napoléon, à considérer ses armées par-delà le Rhin comme ne tenant plus à la France; elles ne défendoient plus les intérêts de la nation, elles ne servoient que l'ambition d'un seul homme; il n'y avoit rien en cela qui pût réveiller l'amour de la patrie; et, loin de souhaiter alors le triomphe de ces troupes, étrangères en grande partie, on pouvoit considérer leurs défaites comme un bonheur même pour la France. D'ailleurs plus on aime la liberté dans son pays, plus il est impossible de se réjouir des victoires dont l'oppression des autres peuples doit être le résultat. Mais qui pourroit entendre néanmoins le récit des maux qui ont accablé les François dans la guerre de Russie, sans en avoir le cœur déchiré?

Incroyable homme! il a vu des souffrances dont on ne peut aborder la pensée; il a su que les grenadiers françois, dont l'Europe ne parle

encore qu'avec respect, étoient devenus le jouet de quelques Juifs, de quelques vieilles femmes de Wilna, tant leurs forces physiques les avoient abandonnés, long-temps avant qu'ils pussent mourir! il a reçu de cette armée des preuves de respect et d'attachement, lorsqu'elle périssoit un à un pour lui; et il a refusé six mois après à Dresde une paix qui le laissoit maître de la France jusqu'au Rhin, et de l'Italie toute entière ! Il étoit venu rapidement à Paris après la retraite de Russie, afin d'y réunir de nouvelles forces. Il avoit traversé, avec une fermeté plus théâtrale que naturelle, l'Allemagne dont il étoit haï, mais qui le redoutoit encore. Dans son dernier bulletin, il avoit rendu compte des désastres de son armée, plutôt en les outrant qu'en les dissimulant. C'est un homme qui aime tellement à causer des émotions fortes que, quand il ne peut pas cacher ses revers, il les exagère pour faire toujours plus qu'un autre. Pendant son absence on avoit essayé contre lui la conspiration la plus généreuse (celle de Mallet) dont l'histoire de la révolution de France ait offert l'exemple. Aussi lui causa-t-elle plus, de terreur que la coalition même. Ah! que t-elle réussi, cette conjuration patriotique! La France auroit eu la gloire de s'affranchir elle

n'a

même, et ce n'est pas sous les ruines de la patrie que son oppresseur eût été accablé.

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Le général Mallet étoit un ami de la liberté, il attaquoit Bonaparte sur ce terrain. Or Bonaparte savoit qu'il n'en existoit pas de plus dangereux pour lui; aussi ne parloit-il en revenant à Paris que de l'idéologie. Il avoit pris en horreur ce mot très-innocent, parce qu'il signifie la théorie de la pensée. Toutefois il étoit singulier de ne redouter que ce qu'il appeloit les idéologues, quand l'Europe entière s'armoit contre lui. Ce seroit beau si, en conséquence de cette crainte, il eût recherché par-dessus tout l'estime des philosophes mais il détestoit tout individu capable d'une opinion indépendante. Sous le rapport même de la politique, il a trop cru qu'on ne gouvernoit les hommes que par leur intérêt; cette vieille maxime, quelque commune qu'elle soit, est souvent fausse. La plupart des hommes que Bonaparte a comblés de places et d'argent, ont déserté sa cause; et ses soldats attachés à lui par ses victoires, ne l'ont point abandonné. Il se moquoit de l'enthousiasme, et cependant c'est l'enthousiasme, ou du moins le fanatisme militaire qui l'a soutenu. La frénésie des combats, qui dans ses excès même a de la grandeur, a seule fait la force de Bonaparte.

Les nations ne peuvent avoir tort: jamais un principe pervers n'agit long-temps sur la masse'; les hommes ne sont mauvais qu'un à un.

Bonaparte fit, ou plutôt la nation fit pour lui un miracle. Malgré ses pertes immenses en Russie, elle créa, en moins de trois mois une nouvelle armée qui put marcher en Allemagne et y gagner encore des batailles. C'est alors que le démon de l'orgueil et de la folie se saisit de Bonaparte, d'une façon telle que le raisonnement fondé sur son propre intérêt ne peut plus expliquer les motifs de sa conduite : c'est à Dresde qu'il a méconnu la dernière apparition de son génie tutélaire.

Les Allemands, depuis long-temps indignés, se soulevèrent enfin contre les François qui occupoient leur pays; la fierté nationale, cette grande force de l'humanité, reparut parmi les fils des Germains. Bonaparte apprit alors ce qu'il advient des alliés qu'on a contraints par la force, et combien tout ce qui n'est pas volontaire se détruit au premier revers. Les souverains de l'Allemagne se battirent avec l'intrépidité des simples soldats, et l'on crut voir dans les Prussiens et dans leur roi guerrier, le souvenir de l'insulte personnelle que

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